^;?ç^^
f^*
c
"} n
-ci
OEUVRES
DE
PAIL DE KOCK.
XTX.
COiSTES EN VERS ET CHANSONS.
PARIS. — IMPRIMEhlE d'ÉVKRA I ,
rue du CaHraii, ii° <f). .
Digitized by the Internet Archive
in 2010 witii funding from
University of Ottawa
littp://www.arcliive.org/details/contesenversetcliOOkock
CONTES EN VERS
i-.r
CHANSONS,
CH. PAUL DE KOCK.
':. ''. C 0 LIE C T''3 N S ,„ vàiiel.it.' v..l.ipla>
. J ;« J t/^UX
\>^(i/^
PARIS.
GUSTAVE BARBA, LIBRAIRE,
LUITLI H l>» >>F.UVKF.!« lir. PIOA LLT-LEBHIIN f.l Ut fAtL Dl. KOCK
RUE MAZARIIHE, 34.
1050.
a ÛldUamt eitec 6,
Vous m'avc7, dit : « Dans un conte
» Je trouve beaucoup d'attrait. ■»
Pour faire ce qui vous plaît
Il n'est rien que l'on n'affronte.
Daignez accepter ceux-ci ,
C'est à vous qu'ils doivent êli'e;
Mais aurai-je réussi I
Déjà je ne suis pas maître
D'un sentiment de frayeur j
INIa muse est franche , naïve ,
Dune peinture un peu vive
Si vous preniez de l'humeur...
Non , je n'ai voulu que rire j
En tout temps ce fut permis ,
Et dans vos yeux je crois lire
Que mon pardon m'est rerais.
D'ailleurs, variant sans cesse j
Cherchant des sujels nouveaux ,
Quelquefois dans mes tableaux
Une teinte de tristesse
Remplacera la galle;
Je peins le plaisir, la i^cioe ,
J'aime la variété ,
Comme le bon La Fontaine
Aimait la diversité'.
Lisez donc en liberté,
Mes contes sont bons apôtres ;
Taiitôt )0ies, tantôt bnms,
Glissez vite sur les uns,
Arrêtez- vous sur les autres.
Heureux de cette façon ,
Si je vois femme jolie
Faire giacc à la folie
Mn faveur de la raison.
CONTES EN VERS.
«♦♦♦e* t«^t-t c « c-t tx-c- »««•«-.-«-»♦*♦«-«-*♦«•♦»• c-o t^t» i ♦ t £■♦♦»»<< M-»-» tt-c*»«-t-» »«♦<»« t-ct-c-
LES GONDOLIERS.
Bel âge des amours!
Des plaisirs, de l'ivresse,
Doux nioinens, heureux jours,
Marques par la tendresse!
Heures de la jeunesse,
Vous sonnez proinptcrnent ! . . .
Arrêtez un moment ;
Pourquoi tant de vitesse?
Il semble que le temps
Pour vous niarclic plus vite;
De l'aspect du printemps
Son front chauve s'irrite;
Rien ne peut le fléchir,
Il se hâte, il nous presse,
Il semble alors courir.
Mais , quand vient la vieillesse
Il paraît s'attendrir :
Des heures qu'il nous laisse
Le cours est chancelant;
Ah ! c'est pour la jeunesse
i
A CONTES EN VERS.
Qu'il devrait être lent!...
Mais le destin l'ordonne ,
IViil ne peut résister ;
Des beaux jours qu'il nous donne
Sachons donc profiter.
Voyez-vous se croiser sur la plaine limpide
Ces légers bâtimens, d'uniforme couleur,
Ils (TJissent sur les flots, et de l'amant timide
Ils ont souvent encouragé l'ardeur;
Dans cette retraite charmante
Que la gondole offre à l'amour.
Mollement balancé près de sa jeune amante,
Il brave les jaloux et la chaleur du jour.
Le gondolier, d'un air de nonchalance ,
Poussant sa rame, évitant les cahots.
Mêle sa voix au bruit monotone des flots ;
Il chante de l'amour, la douceur, la puissance.
Tandis que près de lui, mais cachés a ses yeux,
Ceux qu'il conduit le célèbrent bien mieux .
A nos regards quel séjour se présente?
Quelle est cette cité qui sort du sein des eaux,
D'Amphitrite bravant la fureur impuissante :
A ses palais , à ses canaux ,
Je reconnais Venise , et mon ame est émue ;
Quels sentimens divers m'agitent à sa vue!
Le plaisir que j'éprouve est mêlé de terreur *
Sc-jour oii la folie établit son empire,
Qui sais du carnaval faire un temps de délire ;
Tu ne me parais pas l'asile du bonheur.
CONTES EN VERS.
Près de ce palais que j'admire
Pourquoi mes re^^ards ctomics
Rencontrent-ils ces murs, sombres, abandonnés!
Je contemple une place, immense, majrniHque,
A quelques pas je frémis malgré moi
Ces lagunes déjà m'inspirent de l'effroi.
Tout, dans cette ville magique,
Fait naitre un sentiment qu'on ne peut définir.
D'un tribunal secret le sanglant souvenir,
La vengeance, la jalousie
Aiguisant chaque jour leurs poignards en ces lieux.
Ne font de Venise, à mes yeux,
Qu'un bien triste séjour du dieu de la folie.
Mais près des gondoliers fixons-nous désormais;
Qu'on e^t bien, étendu dans leur maison mobile!
Là , seulement, je retrouve la ville
Que dans mes songes je rêvais!
Sur les flots de l'Adriatique
Urbino, dès ses jeunes ans,
Avait bravé les plus forts ouragans j
Sa gondole, son bien unique.
Le vovait, dès le point du jour,
S'embarquer en chantant, et chanter au retour.
Heureux, content dans sa nacelle.
Sans amour, sans ambition,
Sa galté lui restait fidèle.
Si l'on pouvait vivre sans passion,
Alors, comme Urbino, sans tourmens, sans envie.
On descendrait gaîment le fleuve de la vie.
(^aiment?... Non. L'uniformité
6 CONTES EN VERS.
Tôt OU fard fait fuir la (raîté.
Les passinns éveillent dans notre anie
L'espoir, l'attente, le clcsir;
Celui qui de l'amour n'a point connu la flamnic
A-t-il donc connu le plaisir?
l\lais l)ient6t Lrbino perd son indifférence,
Zanetta le fait soupirer;
L'amour le lient en sa puissance,
Et Zanetta sait si bien l'inspirer !
Elle a seize ans, un re[jard tendre.
Grâce naïve et modeste maintien^
Un son de voix qu'on veut toujours enleudre.
Et de grands yeux que l'on compreml si bien!...
De l'adorer qui pourrait se défendre?
Lrbino jeune et beau l'aimera-t-il en vain?
Pour Zanetta j dès le matin.
Il redit tendre barcarolle,
Et nuit et jour, dans sa gondole,
Du nom de Zanetta fatiguant les échos,
Le mêle en soupirant au murmure des flots.
Tant d'amour a touché le cœur de la filletlc :
Quand, près de son père, le soir,
Sur la rive elle vient s'asseoir,
C'est Lrbino que son œil guette j
C'est pour lui ce soupir et ce brûlant regard
Qui l'accompagnent au départ.
Si le ciel s'obscurcit, s'il se forme un orage,
Inquiète, sur le rivage.
Semblable à la triste lléro ,
Son cœur, qui s'agite et s'oppresse,
Craint pour l'objet de sa tendresse...
COiNTES EN VERS. 7
Mais ce sourire, ccLle ivresse,
Annoncent aussi qu'lJrbino
Revient auprès de sa maîtresse.
Cependant Paoli, père de Znnetta ,
ÎS'appronve point l'amour d'Urbino pour sa fille.
Il veut des cens; sans cela.
On n'entre point dans sa laniil!».'.
Il n'est aussi que simple (gondolier.
Mais il a su, dans ce métier,
En servant les amans, arrondir sa Fortuiic;
Quand il s'agit de {ja^juer de rar{jent
Paoli toujours prêt, est actif, oblijjeant.
Il sert et la blonde et la brune ;
C'est à lui que les amoureux
Vontconler leurs tourmens, designer leurs maiuesicsj
Pourvu que l'on ait dtes espèces.
Il trouve le moyen de l'aire dos heureux ;
Et mainte fois dans sa gondole ,
Emmenant un couple joyeux,
Il entonne sa barcarolle
En riant aux dépens d un père ou d un (uicur
Dont il \ient de tromper l'active surveillance;
Rien ne le met en belle humeur
Comme l'espoir de quelque récompense;
Veut-on se marier; on le trouve au besoin,
Tout pi<'t à sci'vir de léjuoin.
Et ce patron des bons apolres
IVétend forcer sa fdle à fléchir sous sa loi ,
('ar, ce qu'on veut bim faire aux aulres
Est ordinairement ce qu'on défend chez .'oi.
8 CONTES EN VEIIS.
Pour avoir Zanetta ce n'est donc qu'à la ruse
Qu'Urbino peut avoir recours;
On l'emploie en intri[jue, à la {juerre, en amours,
Et le succès est son excuse.
Mais sans argent on doit fort mal ruser.
Lrbino n'a pas une obole !
Le pauvre amant vend sa gondole :
C'était son seul trésor, mais il faut tout oser
Pour posséder celle qu'on aime.
On est en carnaval; il va se déguiser,
Puis près de Paoli se rend à l'instant même.
Et, sous le masque, ose lui proposer
De gagner beaucoup d'or en servant sa tendresse.
« Je suis tout prêt, recevez ma promesse, »
Dit le vieux gondolier. « Parlez, qu'exigez- vous?
» — Ce soir, prépare ta gondole :
» J'arracLe mon amante aux fureurs d'un jaloux.
» Mais elle a reçu ma parole
» Que l'hymen , cette nuit , consacrerait nos nœuds. . .
» — Seigneur, je comblerai vos vœux ;
» Je connais un endroit propice;
» Un chapelain, prévenu par mes soins,
» Nous attendra; pour des témoins,
» Je vous en tiendrai lieu . . . J'ai même à mon service
» Un villageois qui fera le second.
» Je me charge de tout; allez, je vous répond
» Que j'ai souvent conduit pareille affaire.
» — C'est fort bien. Prends ceci, ce n'est de ton salaire
» Qu'une bien faible portion.
» Do la prudence, du mvstère,
» Surtout de la discrétion. »
CONTES EN VERS. V
De Zanetta quittant le père,
Lrbino luit sans être reconnu.
Paoli ne se doute guère
Par qui son bâtiment vient d'être retenu.
Tout occupé de cette affaire,
II laisse à Zanetta bien plus de liberté.
Lrbino s'en était douté 1
Vers la nuit il parvient auprès de son amante;
Un large domino de sa taille cliarmante
Cache la forme et les contours;
Un masque couvre son visage,
Et tous deux, déguisés, se rendent au rivage
Se recommandant aux amours.
Paoli les attend : au fond de sa gondole
Il fait entrer les deux amans.
Et , pendant qu'ils se font les plus tendres sermens.
Il entonne sa barcarolle
En se disant : « Encore un de dupé^
» Quelque jaloux, quelque tuteur trompé...
» Cela ne va pas mal, et j'ai sujet de rire;
» Le carnaval paraît bien commencer.
» Encore un an, et puis je me retire,
» 11 faut jouir un peu, je suis las d'amasser.
» A quelque vieux richard je marîrai ma fille ;
» Je n'aurai point de dot à lui donner,
» Et je vivrai content au sein de sa famille,
H Qui pourra tous les jours me donner à dîner. »
Tout en faisant son plan, il rame et l'on arrive :
Les amans déguisés descendent sur la live.
-10 CONTivS EN VERS.
Pnoli les conduit vers un bois teac'bicux
Diuis lequel est bâtie une vieille clnipelle.
C'est là qu'un ministre fidèle
Va consacrer les plus doux nœuds.
On a tout préparé pour la cérémonie,
Avec le villageois, qui fait l'autre témoin,
Pnoli , redoublant de soin ,
Va se mettre à la porte; et la, sans qu'on l'en prie,
11 fait le guet pendant qu'on unit les amans.
Ceux-ci découvrent leur visage :
Le prêtre reçoit leurs senuens,
Puis il bénit le mariage,
Et les jeunes gens sont époux.
(( Eh bien, » dit Paoli qui se tient à la porte,
'« Est-ce fini? — iSc craignez plus pour nous...
» Venez, » dit Lrbino, « vous avez fait en sorte
M Que tout a réussi... Mais c'est bien grâce à vous. »
Le gondolier, croyant toucher sa récompense ,
Se hâte d'accourir près d'eux...
Que devient-il?... immobile... en silence,
Il les regarde... et se frotte les yeux,
C'est Urbino près de sa fille...
Elle est unie au jeune gondolier.
Et la gondole du vieux drille
A conduit les amans qu'on vient de marier!...
Il tempête, se desespère,
Mais à quoi bon tant de colère!
Les jeunes gens sont à ses pieds. ,.
D'ailleurs ils sont unis , que faire?
Ce que l'on fait quand on est père ;
CONTES EN VERS. ^}
On pardonne, et les torts sont bientôt oubliés.
« Ami , » dit Paoli , « sonf^c, avec ta {^ondoie,
» Qu'il faut nourrir ta fcuinie et t'occupcr.
» — Hélas! » (lit l rbino , « tout ce qui me désole,
)» CV^t que je l'ai vendue, afin de vous tromper.
» — Comment, coquin! — Ali! calmez-vous, de {jrace,
» Vous vieillissez, et le travail vous lasse,
» Je connais vos projets. Eh bien ! à votre place ,
>) Je conduirai votre baîeau;
« Vous lui devez votre richesse ;
» Je veux vous imiter et servir la jounesse ;
» En fait de ruses , de finesse ,
» A mon âjje, on sait du nouveau.
» Tranquille, heureux, près de votre famille
» Vous passerez des jours bien doux!
» Vous n'irez pas dîner chez votre fille...
» Mais elle ira dîner chez vous. »
LE IlAISONiSlEMKjST
DE GROS PIEIUIE.
« Ah ! si j'avais un écu ! »>
Disait un jour le (jros Pierre
A son compère Ledru^
« Va^ tu ne te doutes guère
M De l'emploi que j'en ferais!
» Avec cet écu, j'aurais
» Un joli coq pour ma poule;
» Ce coq vous la coquerait,
» Alors ma poule pondrait :
» Or, d'un aussi joli moule,
» Les poulets seraient vendus
)) La douzaine trois écus.
» Avec l'argent de la vente
» Je pourrais avoir du grain;
» Avec le grain, je me vante
» De trouver un bon terrain.
» Je sais cultiver la terre,
» Je suis actif, vigilant,
)j Et quand un propriétaire
» Me connaîtrait ce talent,
CONTES EN VERS. ^ô
« On m'offrirait une ferme ;
» Je la prendrais pour trois ans.
» Par des profits innocens,
» Gageons, au bout de ce terme,
» Que je me trouve de quoi
» Avoir une ferme à moi.
)) Ah! c'est alors, mon compère,
)) Que j'arrondirais mon bien !
» Je connais plus d'un moyen
» Pour faire rendre une terre
)> Quatre fois plus qu on ne croit.
» Dame! ensuite on peut s'étendre;
>> Pour acheter et revendre
» Je ne suis pas maladroit;
» Enfin ^ par mon industrie,
» Je deviendrai, je parie,
)> Le plus riche de l'endroit.
» — Pardieu , mon pauvre ami Pierre ,
» S'il ne te faut qu'un écu
» Pour être propriétaire,
» Tiens le voilà, ditLedru;
)) Cultive, sème, défriche,
)) Plante, achète, deviens riche;
» Alors, chez toi, mon garçon,
» Pour prix de cette misère,
» Tu me permettras, j'espère,
)i D'aller dîner sans façon. »
Maître Pierre fient la pièce,
Son compère est déjà loin.
iJ^ CONTES EN VERS.
Quand notre homme est sans témoin ,
Il prend l'écu , le caresse ,
Puis... oubliant son projet,
Va le boire au cabaret.
Le soir, quittant sa besofjne,
Ledru repasse parla.
Il rencontre notre ivro{jne
Qui marche, cahin, caha...
(< Morbleu , » lui dit le compère,
« Dans quel état te mets-tu !
» Voilà donc de mon ccu
» L'emploi que tu devais faire !
» El tes plans de ce matin...
» — Ecoute donc, )) répond Pierre ;
» Pour être riche, compère,
» J'ai pris le plus court chejnin ;
)) Va, je nar{ïue la misère!
» J'ai bien placé mon écu,
» Car, mon ami , quand j'ai bu ,
» C'est à moi toute la terre. »
LE RHUME.
Zoé logeait chez sa tante,
Zoé n'avait que seize ans;
Mais qu'elle était ravissante !
Quels rejjarJs doux, sédui>ans,
Quels contours , quel teint de rose,
Quel son de voix cnthanleur î
Et sur sa bouche mi-close,
La volupté qui repose
Semble attendre le bonheur.
Pourrait-on, le cœur paisible,
(^.onteni[)ler autant d'attraits!
Moi , je ne croirai jamais
Que la chose soit possible;
Aux charmes de la beauté
Peut-on rester insensible,
Quand de la divinité
Elle est la plus belle image!
Ah! recevez notre houimaje,
Sexe fait pour l'inspirer 1...
Vous chérir, vous admirer,
Est notre plus doux partage.
^G CONTES EN VERS.
En vain, dans son froid lan{jage,
La raison veut murmurer,
L'Iiomme heureux, voilà le sa[jc ,
Il faut donc vous adorer.
Mais de Zoé je m'écarte,
Ces dames vont m'entraîner.
Je ne puis m'en étonner.
Je perds bien vite la carte ;
Maintes fois un air mutin ,
Une gentille figure ,
Pied mignon , leste tournure
M'ont fait perdre mon chemin.
Revenons à la fillette
Dont les innocens appas
Faisaient courir sur ses pas
Plus d'un conteur de fleurette.
Mais notre tante était là
L'œil au guet , l'abord sévère :
A la nièce on pouvait plaire;
On ne pouvait que cela.
Gros soupir , gentille œillade ,
Petits mots à la passade,
C'est charmant; mais entre nous ,
On ne peut passer sa vie
A s'en tenir aux yeux doux
Auprès de feaniie jolie.
C'était bon du temps des preux,
Où , dix ans , près de sa mie.
L'amant bornait son envie
A lui parler de ses feux.
CONTES EN VERS. ^IT
Ce temps , nous l'employons mieux,
Et (le la chevalerie
Il ne nous reste , je crois ,
Que ce ton galant , courtois ,
Ce désir de plaire aux dames ,
Et ce vif amour des femmes
Qui toujours nous restera
Tant que le monde vivra.
On peut changer la manière ;
Mais ce goût, cet amour-là,
En tout temps subsistera ,
Et sans cesse on le fera ;
Car le bon Dieu , sur la terre ,
Nous a placés pour cela.
Or , un jeune militaire
A Zoé cherchait à plaire.
On comprend un amoureux
Par le langage des yeux ;
Et la petite brunette
Ne demanderait pas mieux
Que d'écouter en cacliette
D'un amant les doux aveux.
Mais, hélas ! dans sa cliambrettc
Si par ruse il pénétrait ,
Notre tante l'entendrait ;
Car une cloison traîtresse
Laisse aisément parvenir
Jusqu'au plus léger soupir
Que l'on pousse chez la ni<''cc.
Etconiuicnt près d'un amant
^8 CONTES EN VERS.
Se livrer au sentiment,
Au plaisir , à la tendresse ,
Sans laisser, par-ci, par-là,
Echapper dans son ivresse
Un soupir qui peint cela?
La fille la plus niaise
Par instinct devine bien
La forme de l'entretien
Qui doit la rendre bien aise.
De n'en pouvoir pas jouir
La pauvrette se chagrine;
On ne voit plus sur sa mine
L'expression du plaisir;
Déjà semblent se flétrir
Les roses de son visage :
Mal d'amour fait grand ravage !
INotre tante s'aperçoit
De la pâleur de sa nièce;
De sa secrète tristesse
La bonne femme conçoit
Une vive inquiétude.
Et lui dit : (( Qu'avez-vous donc?
» Je n'entends plus de chanson ?
» Ce n'est pas votre habitude,
» Vous qui chantiez si souvent,
» Quelquefois même en rêvant ;
>) Certes, vous êtes malade ;
» Femme qui ne dit plus rien
» ISe se porte pas très-bien.
» Allons, plus de promenade,
» Restez au lit ; dès demain
CONTES EN VERS. '(Q
» Nous aurons le médecin;
)•> II faudra bien qu'il nous trouve
)5 Un remède h vos douleurs.
» — lïélas ! au mal que j'éprouve, »
Répond Zoé tout en pleurs ,
« Il ne pourra rien comprendre,
» Car ma souffrance est au cœur.
» — Taisez-vous , notre docteur
» Vous dira ce qu'il faut prendre. »
Le médecin attendu
Chez la nièce s'est rendu ;
Et pour première harangue,
Il lui fait tirer la langue,
Qu'il regarde fort long-temps.
Etudier la nature
Sur fillette en son printemps,
D'une charmante figure ,
Qu'on doit bien apprendre ainsi !...
Près de malade jolie
J'ai bien souvent eu l'envie
D'être médecin aussi.
Quand le nôtre a pu s'instruire ,
Il dit : « C'est le froid, le chaud, »
Puis ordonne du sirop ,
\eut qu'on boive, qu'on transpire,
Déclarant qu'on toussera,
Et qu'ensuite on guérira.
Quand il est loin , chez la tante
Une garde se présente.
Son abord est engageant ,
50 CONTES EN VERS;'
Elle paraît complaisante
Et demande peu d'argent.
De l'arrêter on s'empresse.
« Il faudra passer la nuit
)) Et faire boire ma nièce
M Tous les quarts d'heure. — Il suffit
» Auprès de mademoiselle
» Je ne m'endormirai pas ;
\ » J'aurai toujours l'œil sur elle.
>> — Je vous retiens en ce cas. »
La garde au logis demeure ,
Tout étant bien convenu ;
Lorsque le soir est venu,
La tante , qui de bonne heure
Ya toujours se mettre au lit ,
Se retire à petit bruit.
Vous devinez , je le gage ,
(]e qu'alors la garde fit :
Jetant bonnet et corsage,
Et tout son accoutrement,
Zoé revoit son amant ,
Qui pour arriver près d'elle
A pris ce déguisement.
A l'ordonnance fidèle ,
Il administre à sa belle
Un remède pour son mal ;
Mais une vieille couchette
Ya déranger tout le bal
Par son allure indiscrète.
Comment donc faire cesser
CONTES EN VERS. SI
Un bruit qui peut à la vieille
Mettre la puce à l'oreille ?
Tout bas notre amant conseille
A sa belle de tousser.
Zoc comprend à merveille,
Elle tousse avec succès;
Son rhume a plus d'un accès.
Mais la tante se réveille.
« Oh ! dit-elle, qu'est-ce là ?
» Quoi Zoé tousse déjà ,
» A peine si je la quitte.
» — C'est l'effet de son sirop, »
Répond la garde aussitôt.
« — Oh ! comme il opère vite '
» Tousse, tousse, ma petite,
» Et cela te guérira.
)) — Oui, je l'éprouve déjà ;
» Je vous assure, ma tante ,
)) Que je me sens beaucoup mieux ;
» Ce sirop est précieux ,
» J'en suis vraiment fort conleifle.
» — Allons, c'est bien ; en ce cas,
)) Tousse , ne te gêne pas. »
Avec plaisir on profite
De cette permission ,
Et pour tousser la petite
Prend moins de précaution.
Le jour vient, le rhume cesse,
On n'en a pas un accès ;
Mais avec la nuit , la nièce
22 CONTES EN VERS.
Tousse plus fort que jamais.
Une semaine se passe.
« Quand cela doit-il finir? »
Dit la vieille, qui se lasse
De ne plus pouvoir dormir ;
(( Comme ce rhume est tenace !
» Le jour, par quel talisman
» IS'en ressens- tu point d'atteintes?
» Et la nuit ce sont des quintes
» A me crever le tympan.
» — De cesser, » répond la garde ,
<( Il est possible qu'il tarde,
» C'est un catarrhe , je crois.
» - — Un catarrhe. . . Ah ! sur ma foi,
» Ce serait une folie
» Si je vous gardais , ma mie.
» Un catarrhe... on verra bien !
» Mais je n'ai pas le moyen
» De payer toute ma vie
n Des gardes pour la soigner;
» Je saurai bien lui donner
» Ce que prescrit Tordonnance ;
t) Prenez l'argent que voici ;
» Adieu doncj votre présence
)) IN'est plus nécessaire ici. »
A cela que peut-on dire ?
Rien; il fallut obéir.
Notre garde se retire
En poussant un gros soupir.
La nuit, auprès de sa uiccc
CONTES EN VERS. 23
La tante prétend veiller.
« Oh ! vous pouvez sommeiller, »
Dit la belle avec tristesse.
— Cependant , si tu tous;?a!s.
— Je ne le puis désormais !
— Tu te eruis déjà bien forte !
Mais ton rhume est-il mûri ?
— Il faut bien qu'il soit guéri ,
Vous l'avez mis à la porte. »
LE PAYSAN AMBniEUX.
Dans une riante campagne
Qu'une rivière avoisinait,
Sur le penchant d'une montagne
Qu'un joli Lois environnait ,
On voyait sY'lever maisonnette charmante,
Recevant du soleil la chaleur bienfaisante,
Et dont un grand clos dépendait.
Cette maison Thomas la possédait-
Là , sans effort et presque sans culture,
Un terrain nourricier , aimé de la nature,
Au villageois donnait de quoi faire son pain ,
Des légumes , des fruits ; aux treilles du jardin
Pendait un excellent raisin ,
Dont le jus le faisait chanter sous la feuillée,
Et, dans l'hiver, animait la veillée
En mettant tout le monde en train.
Pour lui tenir fidèle compagnie ,
Il possédait ménagère jolie,
Des marmots qui le cajolaient,
Et, presque tous, lui ressemblaient.
Que follait-il de plus pour passer douce vie !
Thomas pourtant ne se croit pas heureux,
Il est triste, rêveur, ne peut tenir en place.
CONTES EN VERS. 25
Il paraît mécontent, au ciel lève les yeux,
De son bonheur tranquille il s'ennuie, il se lasse,
Le pauvre homme est ambitieux :
Il voudrait habiter la ville ,
Faire fortune, avoir une maison,
Des valets, des chevaux, un carrosse, un grand ton!..
Tout cela lui semble facile :
Son gros cousin , ancien barbier.
D'un grand seigneur est bien devenu cuisinier !
Et depuis qu'un jour au village
Ce cousin a porté ses pas.
Son nez rouge, son ventre, et son large visage.
Ont troublé l'esprit de Thomas.
Les jeux de ses enfans ont cessé de lui plaire.
Il néglige sa ménagère ;
Le plaisir a fui de son toit.
En vain le pasteur de l'endroit ,
Q\i\ de son mal connaît la cause.
Cherche à le ramener à d'autres sentimens
En lui disant : « D'où naissent vos tourmcns ?
)) Vous manque-t-il donc quelque chose
» De nécessaire à la félicité ;'
)) Vous êtes laboureur; cet état honorable
» Vous attire l'estime et vous rend respectable ;
» Votre femme aux attraits joint aussi la bonté ,
» Vosenfans sont charmans, chacun d'eux vousadorc,
» Voyons, que vous faut-il encore ?
» Des richesses ?. . . Mais non , ce terrain vous suffit ;
)i Vous avez même de l'aisance,
» Et vous pouvez, grâces à son [)roduit,
» Aider, secourir l'indigence;
26 GONTLS EN VERS.
))Ali ! mon pauvre Thomas, que voulez-vous demieux.
» Trouveriez-vous en d'autres lieux
» L'heureuse paix de ce séjour champêtre?
» Ici vous êtes né, bornez votre désir
» A ne plus le quitter : il est doux de mourir
» Sous le toit qui nous a vu naître. »
Mais ces discours sont superflus :
Depuis long-temps Thomas n'écoute plus
Du pasteur le touchant langage;
Chaque soir, c'est sous le feuillage
D'un vieux chêne de son jardin ,
Qu'il va rêver à sa folie,
Et qu'il cherche par quel chemin
Il satisfera son envie
Et pourra changer son destin.
Un jour que , selon sa coutume,
Dans ses rêves brillans Thomas est enfoncé,
Suivant l'ambition qui toujours le consume,
Vers la ville, d'un pas pressé
Le voilà qui se rend. Il y connaît du jnonde ;
Sa bourse est bien garnie, il avait amassé
Quelques écus ; si le sort le seconde ,
Cet argent, étant bien placé ,
Va lui rapporter gros. De joie il perd la tête,
Il va donc devenir un monsieur, s'enrichir!
A la ville , en effet , ses amis lui font fête ,
Et promettent de le servir.
Dans l'ivresse, Thomas oublie,
Sa femme , ses jeunes cnfans
CONTES EN VERS. 27
Et sa maisonnette et ses champs.
Il fait de grands projets, cliacun lui certifie
Qu'il peut aller à tout par sa capacité.
Déjà bouffi de vanité ,
Le villageois se croit capable
Jusqu'aux premiers emplois de parvenir.
Le pauvre sot ! mais est-il plus blâmable
Que tant de gens qui brûlent du désir
D'avoir un poste éminent, honorable,
Sans s'être demandé s'ils pourront le remplir:
,-. ">
En espérance ainsi le temps se passe ;
Mais Thomas voit la fin de ses écus.
La scène alors change de face :
On semble l'éviter, on ne lui répond plus,
Ou bien on rit de son langage.
De ses prétentions ; chacun le montre aux doigts j
On se moque du villageois
Qui veut être un grand personnage.
Thomas honteux, chei^che à se retourner j
Il se perd encor plus ; il joue, il fait des dettes,
On va le faire emprisonner...
Il fuit sans réparer les pertes qu'il a faites;
Il quitte ce Paris qu'il maudit dans son cœur !
Y laissant son repos, sa fortune et l'honneur.
Pâle, défait, il revient au village ;
Déjà de sa maison ses yeux cherchent le toit...
Il espère y trouver le calme après l'orage !...
Il s'avance... grand Dieu ! c'était dans cet endroit.
Du feu le terrible ravage
A détruit 6u demeure et dévasté ses champs t...
28 CONTES EN VERS.
Thomas court éperdu... sa femme... ses enfans...
Quesont-ilsdevcnus... il tremble... il craint d'apprendre
Quelque nouveau malheur. Dieu '.que vient-il d'entendre!
Sa femme est morte de cliagrin,
Et ses enfans dans la misère
Demandent maintenant leur pain ,
Près des débris de sa chaumière.
C'est là que leurs voix chaque jour,
Au Ciel adressent leur prière ;
Ils implorent Dieu pour leur père,
Et lui demandent son retour.
Qui pourrait supporter une douleur pareille ?...
Thomas jette un grand cri. . . tous ses sensont frémi. . .
Sa femme, ses enfans, sont assis sous la treille,
A ses côtés... il les voit... il s'éveille...
Dans son jardin il s'était endormi ,
Et, sans quitter le pied de son vieux chêne.
Il avait fait son voyage à Paris.
« Se pourrait-il... 0 mes amis !...
Dit Thomas qui respire à peine ;
C'était un songe... ah ! qu'il était affreux !...
De vous revoir que je me trouve heureux !
Près de vous désormais, je veux passer ma vie.,
Ah 1 plus d'ambition, plus de sotte manie !
Ce songe m'a guéri . . . mon cœur est soulagé ! . . .
Heureux qui de sa folie
Par un rêve est corrigé !
LE VIEUX FOU.
Le bon La Fontaine l'a dit :
« Ne forçons jamais notre esprit ,
» Nous ne ferions rien avec grâce. »
Il en est ainsi des amours ;
Le temps en a réglé le cours,
Il faut que tout soit à sa place ,
N'attendons pas l'âge des souvenirs
Pour nous livrer à d'amoureux désirs.
Cédons gaîment dans la jeunesse
Au doux penchant de notre cœur ;
Mais gardons-nous, dans la vieillesse,
De vouloir inspirer une amoureuse ardeur.
Dès que les rides du visage
Viennent vous dire : Soyez sage ,
Il faut écouter leur avis.
Tout l'attirail de la toilette,
Ton sémillant, mise coquette,
D'un vieillard ne ferontjamais un Adonis.
Enfin n'imitons point cet homme
Qui , ne voulant pas •'•trc vieux ,
(^rut trouver un moyen de conserver ses leiix.
Ecoutez-moi bien, voici comme :
50 CONTES EN VERS.
Jusqu'à l'ûge de soixante ans
II pensa devoir être sage ;
Alors à ses désirs nais^ans
Il crut pouvoir se livrer davantage.
Le vieux fou se disait tout Las :
« Lorsqu'à dix-huit ans on commence ,
» On en a près de trente à montrer sa vaillance;
» Je vais me trouver dans ce cas.
» Je commence, et pour plaire aux belles ,
» J'ai près de trente ans devant moi.
» Je prétends être adore d'elles;
0 Je le puis aisément, je crois,
» A mes vœux elles vont se rendre ,
)i J'ai ce qu'il faut pour les cliariner :
» Je suis novice, elles vont prendre
» Un grand plaisir à me former. »
Notre vieux fou dans le monde se lance,
Il fait le gentil, l'enfantin ,
Et, près de la beauté, singeant le chérubin ,
D'un jeune adolescent affecte l'innocence.
Mais pour prix de ses petits mots ,
De ses soupirs, de ses grimaces,
Les femmes lui tournent le dos :
Le ridicule effarouche les grâces.
Voulant plaire, charmer, malgré ses soixante ans,
Le vieillard fouille en sa cassette,
Il y prend la seule recette
Que l'on puisse opposer aux outrages du temps.
Avec son or il séduit une belle.
« Tu n'as que vingt ans, lui dit-elle ,
CONTES EN VERS. 3i
» Tu ne les parais pas, d'iionneur;
» Je prétends te former, oui, je sens que je t'aime :
» Pour moi quelle douceur extrême
» D'avoir l'étrenne de ton cœur ! »
A ce discours qui le comblait d'ivresse ,
Le novice fit ce qu'il put
Pour prouver sa verte jeunesse ;
Et qu'en arriva-t-il de sa belle prouesse?
Le lendemain notre vieux fou mourut.
Il est des plaisirs pour chaque âge ,
Ne changeons point l'ordre du temps.
Que l'enfant goûte sans orage
Les illusions du printemps ;
Laissons l'amour a la jeunesse ,
Plus tard la raison doit venir ;
Et , pour charmer notre vieillesse ,
Contentons-nous du souvenir.
LE MARI
QUI JOUE DE LA FLUTE.
Certain époux était grand amateur
De musique, et surtout de flûte.
Pour cet instrument, plein d'ardeur,
Dès le matin, il exécute
Rondeau, sonate, adagio;
De ses voisins il blesse les oreilles.
Mais croyant faire des merveilles,
Il les régale de solo.
Notre musicien avait femme jolie ,
Jeune, bien faite, et d'un noble maintien;
Mais jusques à l'excès poussant la pruderie.
De lui conter fleurette il n'était pas moyen.
D'un seul mot de galanterie
Madame se fâchait , et sa sévérité
Faisait fuir les galans qu'attirait sa beauté.
L'époux d'un tel tendron , sans craindre y)()ur sa tête,
Sur les maris trompés peut lancer des rébus.
Mais de ces démons de vertus
On voit souvent l'humeur à la tempête!
CONTES EN VERS. 33
Notre Lucrèce en est un exemple de plus :
Elle est emportée et colère;
Pour un mot se fâchant, son aigre caractère
Bannit la paix de sa maison ;
Et chaque jour changeant de valet, de servante,
Madame, dont le ton interdit, épouvante.
Se croit douce comme un mouton.
Son mari, d'humeur fort tranquille.
Est heureux quand il peut souffler quelque rondeau.
Mais un jour voici du nouveau :
La flûte , de madame échauffe encor la bile ;
Elle ne peut souffrir cet instrument.
« Entendons-nous, dit l'époux, un moment;
M Avec vous je prétends, ma chère,
» Faire un marché; de grâce écoutez-moi :
;) Vous vous mettez fort souvent en colère,
» J'aime la paix , je me fais une loi
» De ne me point mêler dans aucune dispute:
» Mais dès que vous crîrez je jouerai de la flûte.
» Cet instrument me sauvera
» L'ennui de toujours vous entendre ;
» Vous crîrez tant qu'il vous plaira !
» Vous ne pourrez me le défendre, n
Madame accepte de bon cœur;
En elle, ayant beaucoup de confiance,
Elle se dit : « Par ma douceur
» Je saurai bien le forcer au silence. »
Au mari le marché plaisait;
Il savait bien ce qu'il faisait.
A se taire un instant sa femme en vnin se butte,
3
^A CONTES EN VERS.
Bientôt il peut prendre sa flûte ,
Madame cric... En son appartement
L'époux va s'enfermer^ et sur son instrument
Notre homme s'en donne à son aise,
Plus il entend crier et plus il souffle fort :
Pauvres voisins, que je plains votre sort!
Quand un moment cela s'apaise
L'instant d'après la flûte chante encor,
JN'espérez pas que l'un des deux se taise.
Notre amateur, par ce moyen .
Sur la fli^ite commence à jouer assez bien.
Madame , cependant, que la musique ennuie
De crier se corrige un peu.
L'époux craint pour sa mélodie
De ne plus avoir si beau jeu;
Mais un événement vient servir sa folie :
Un jeune militaire ardent , impétueux ,
De notre belle est amoureux.
Son ton hautain , son air sévère.
Son regard fier et dédaigneux ,
Rien ne peut éteindre ses feux ;
Et les obstacles , au contraire.
Ont plus de charmes à ses yeux.
Une conquête trop facile
Pour un galant a peu de prix ;
De celle que l'on voit manquer au plus habile
Nous sommes toujours plus épris.
Notre amoureux, afin de s'introduire,
Se déguise en valet normand.
CONTES EN VERS. 35
Chez madame il se fait conduire,
Sachant que de valet on change à tout moment.
D'un air niais il se présente
En saluant bien gauchement;
On vient de chasser la servante,
Et madame, à l'essai, consent à le garder.
C'est tout ce qu'il voulait; il est près de sa belle.
Il faut en profiter, il faut tout hasarder.
Dès qu'il se voit seul avec elle ,
Dans un boudoir touchant la chambre du mari ,
Il se jette à ses pieds , il déclare sa flamme.
« O ciel! ô trahison infâme!... »
Dit la dame en jetant un cri.
A peine il part que l'époux prend sa flûte
En disant : « Nous avons un serviteur nouveau ,
» Je vais jouer plus d'un morceau,
M J'entends déjà qu'on se dispute. »
En effet, madame criait,
Et des noms de monstre, de traître.
Elle appelait l'amant, mais celui-ci riait :
La flûte couvrait tout, il pouvait se permettre
Mille témérités. Avec son instrument
Le mari l'accompagne, il marque la mesure;
Pour commencer il joue une ouverture.
Le bruit augmente... il presse encor le mouvement,
Distinguant la voix de fa femme
Qui de temps en temps crie encor,
Sur sa flûte il joue à madame :
(( Tu triomphes, bel Alcindor. »
A son secours son épouse l'appelle,
5G CONTES EN VERS.
« Bon, bon, » dit-il, « va, fais ton bacclianal,
)) Mais du diable si je m'en mêle!
» Je vais te jouer un final. »
Les cris cessent enfin. Servi par la musique ,
J'ignore si l'amant est devenu vainqueur.
Mais je vois que la dame est tendre , laconique,
Et que l'époux est en sueur.
« Ouf, » se dit-il , u il faut que je respire;
)) Je crois que c'est fini. Que l'on a tort de dire :
)) Souffler n'est pas jouer! dedans cet instrument
» Quand je souffle on devrait me faire compliment ;
») Maisjen'entends plusrien, rendons-nous chez ma femme. »
» Il entre; le galant avait quitté la dame.
« Eii bien ! » dit le mari , (( la belle occasion
)) Tu viens de me donner, ma chère !
» Pendant ton accès de colère,
)) Je t'ai joué ma variation ,
» Elle est en mi majeur... A ton valet, je gage ,
» Tu donnais son congé ? — Non , je le formerai ;
» Et puisqu'il est entré, je crois qu'il est plus sage
)) De m'en servir, et je le garderai.
» — Gardons-le, soit! il paraît un peu brute;
» Mais pour le dégourdir tu t'y prends comme il faut.
)) Quant à moi, je prévois que, grâce à ce nigaud ,
» Je joûrai souvent de la flûte. »
LA PRÉFÉIIEISCE.
De deux garçons une veuve était mère ,
Tous deux par la nature étaient avantagés,
En talens, en esprit, de même partagés,
Egalement tous deux devaient lui plaire.
Mais l'un était le favori;
Par une injuste préférence
On délaissait Chariot, Alfred était chéri.
Nous en avons l'expérience ,
Trop de parens se conduisent ainsi î
Leur cœur faible avec l'un, pour l'autre est endurci :
Pourquoi donc voir l'un d'eux avec indifférence ,
Et ne devons-nous pas , en leur donnant le jour.
Leur donner aussi notre amour?
Ne les avons-nous mis sur terre
Que pour clioisir celui qui nous paraît charmant ?
11 n'en est point de laid pour les yeux d'un bon père j
Et qui donc essuîra les larmes d'un enfant.
Si ce n'est la main de sa mère ?
Bientôt arrive a nos deux fils
Ce qui toujours suit cette préférence :
Entre eux d'abord égale ressemblance ,
58 CONTES EN VERS.
Ils sont doux, vertueux, soumis;
Mais bientôt celui qu'on préfère
Prend un peu plus de liberté j
Impunément il fait sa volonté,
Se livre à tous ses goûts, suit son humeur légère.
Certain par son esprit, sa grâce, sa gaîté.
De se faire toujours pardonner par sa mère.
Chariot (c'est l'autre fils) , ne lui ressemble plus ,
Il est triste, rêveur, il passe sa journée
Assis dans quelque coin ; ses traits sont abattus ,
Et sa langue semble enchaînée.
Jamais un regard, un seul mot
Ne s'adresse au pauvre Chariot î
Ce nom de fils, si doux quand sa mère le donne.
C'est pour son frère seul qu'il l'entend proférer.
Pauvre petit! et Ton s'étonne
De te voir si souvent pleurer!
Mais bientôt une maladie
De la maman met les jours en danger.
Alfred poursuit son train de vie
Sans paraître inquiet, sans même s'affliger;
A des valets recommandant sa mère ,
Il n'approche plus de son lit.
Chariot fait alors le contraire :
A côté d'elle il s'établit ;
Il ne la quitte plus ; jour et nuit il la veille.
Trop heureux de pouvoir, pendant qu'elle sommeille,
Contempler ses traits à loisir;
Bonheur dont, depuis son enfance.
Chariot n'a pas osé jouir !
Car il tremblait en sa présence.
CONTES EN VERS. 50
Grâce à ses soins sa mère est beaucoup mieux ;
Elle voit de Chariot la douceur, la constance,
Elle rougit de son injuste préférence,
Le bandeau tombe de ses yeux!...
Mais, contrainte encore au silence,
Elle voudrait... et ne peut exprimer
Son repentir et sa reconnaissance;
Cédant au sentiment qui vient de l'animer,
A Chariot elle tend sa main avec tendresse ,
Balbutiant : « C'est toi , mon fds !... »
Par ce doux liom , cette caresse ,
Le pauvre enfant est tout surpris;
Ce ne peut être à lui qu'elle s'adresse :
Son fils!... « Hélas! répond-il aussitôt,
« Non, maman, ce n'est que Chariot... »
Ce mot valait une leçon sévère;
Il corrigea l'injuste mère.
L'amour de nos enfans de nos soins est le prix ,
Mais pour l'un d'eux point d'aveugles i'aibhîsses :
Dans notre cœur qu'ils soient tous réunis;
Peut-il encor se croire notre fils
Celui que nous avons privé de nos caresses ?
LES DEUX AMIS.
Jadis , deux jeunes amis ,
Par serment s'étaient promis
De partager leur fortune,
De rendre chose commune
Ce qu'un fortuné destin
( Car nous avons tous le nôtre ),
Quelque coup du sort enfin
Pouvait à l'un comme à l'autre
Envoyer un beau matin.
Tout jeune ainsi l'on se lie ,
Et de tenir son serment
On a la sincère envie ;
En avançant dans la vie
On pense différemment j
L'âge arrive , l'on oublie
Les sermens de l'amitié ;
Et souvent de la promesse
Que l'on fît dans sa jeunesse
On sourit avec pitié.
Mais revenons à l'histoire
Que j'avais à vous conter;
I\os amis, j'aime à le croire,
CONTES EN VERS.' Ai
Montreront plus de mémoire
Que ceux que j'allais citer.
L'un d'eux se met en voyage ;
Se fait marchand, muletier,
Soldat, acteur, gazetier.
Pauvre dans chaque métier,
Il supporte avec courage
Les mauvais coups du destin ,
Et sans le sol un matin
S'en revient dans son village.
Dans son domaine agrandi
Son ami s'est arrondi ;
Il a fait un héritage,
De plus un bon mariage
Avec un riche tendron j
Bref, il mène douce vie ,
Car il a femme jolie , i '
Bon vin et belle maison.
« Pardieu , dit le pauvre hère,
» J'ai fort bien fait d'arriver ;
» Courons vite le trouver ,
» Je ne crains plus la misère 1
» Par lui , j'aurai des emplois j
)) Il se souviendra , j'espère ,
» De nos sermens d'autrefois. »
Puis sans tarder davantage ,
Il va chez le gros bourgeois
Dans son modeste équipage.
4^ CONTES EN VERS.
Vous croyez que celui-ci
Au nez lui ferme la porte?
Vous vous trompez ; Dieu merci ,
Ce n'est, ma foi, pas ainsi
Que mon riche se comporte.
Au pauvre il dît : » Tu n'as rien ?
)) Il faut donc que je t'en cède ,
)) Tu partageras mon bien
)) Et tout ce que je possède.
» Va, je n'ai pas oublié
)) Qu'à toi je me suis lié ;
» Je dois tenir ma promesse,
)) Mon cher, n'en sois pas surpris ,
» Tout est commun entre amis. »
De le loger il s'empresse ;
Son hôte est choyé, fêté,
Dans la maison on l'installe.
On l'habille , on le régale.
Bref, il peut en liberté
Disposer, commander même.
Ce riche est fort obligeant :
Placer ainsi son argent ,
C'est mériter qu'on nous aime.
Mais vovez comme le sort
Quelquefois nous récompense ;
Puis étonnez-vous encor
Qu'on blâme la Providence.
Chaque matin notre époux
Va de bonne heure à la chasse ,
C'est pour lui plaisir si doux
Que jamais il ne s'en lasse.
CONTES EN VERS. 43
On le voit^ tel temps qu'il fasse,
S'en aller chercher les loups.
Or j un jour à peine il quitte
Jeune femme et lit Lien chaud ,
Que d'une douleur subite
Il est atteint. Tout penaud, . ; ({
Il est forcé de reprendre
Le chemin de sa maison ,
Où l'on est loin de l'attendre !
Car son ami , sans façon ,
Avait déjà pris la place
Que , pour aller à la chasse ,
Chaque matin il laissait ;
Et près de la jeune femme
Rempli d'ardeur et de flamme
En époux il agissait.
«Ah ! scélérat, monstre infâme,
» Dit le chasseur furieux ,
)) Faut-il en croire mes yeux !
)) De mes bienfaits, malheureux ,
» Voilà donc la récompense !
» Tu trahis ma confiance !
)) Tu me... — Pourquoi ce courroux ? »
Dit l'autre avec indolence;
(( A qui diable en avez-vous?
» Et qu'est-ce qui vous offense ?
)) Rappelez à votre esprit
» Le serment que chacun fit :
» Entre nous même fortune ,
« Et toute chose commune.
» Vous-même avez dit aussi
Ai CONTES EN VERS.
)) Quand je revins au village:
(( Ce que je possède ici
» Qu'avec toi je le partage
» Mon bonheur sera parfait !... »
)) J'ai cru , d'après ce langage ,
» Que votre femme en était. »
LES DEUX FRERES.
Dans une province de France ,
Dont j'ignore le nom , mais le nom n'y fait rien ,
Deux frères, possédant une modeste aisance,
Partagèrent un jour leur bien.
L'un se fit laboureur , et cultiva la terre ;
Il prit femme, il eut des enfans
Qui , comme lui , labourèrent les champs.
Mais l'autre ne voulut rien faire.
Content de ce qu'il possédait ,
Il ne désirait point en avoir davantage :
Le moindre travail l'obsédait.
Comme son frère il se mit en ménage.
Et sa famille s'augmenta ;
Mais notre homme jamais ne s'en inquiéta.
Par principes, par caractère.
Sans peine, sans plaisir, sans jamais s'émouvoir ,
Il contemplait les biens et les maux de la terre;
De le troubler rien n'avait le pouvoir.
Il appelait cela delà philosophie:
En est-ce ?. . . par ma foi , je ne vous dirai pas !
On en a mis partout , si bien que l'on oublie
Celle dnnf il faudrait faire lo plus de ras.
40 CONTES EN VERS.
Or (Jonc à notre piiiiosophe
Le laiDOLireur ne ressemblait en rien :
Il redoutait la moindre catastrophe,
II aimait ses enfans, et tremblait pour son bien.
En vain notre esprit fort, , se moquant de son frère ,
Se donnait pour exemple , et cherchait tous les jours
A lui former le caractère :
Il y perdait son temps et ses discours.
Le naturel est comme une rivière
Dont on ne peut changer le cours.
Il est des maux pour le village
Comme il en est pour les cités.
Par une tempête, un orage,
Le laboureur voit ses champs dévastés ;
Il gém it , se plaint , se lamente ,
Son frère veut le sermonner j
Mais le villageois se contente
A son travail de s'obstiner.
Bientôt après, autres alarmes :
Pour la milice on prend son fils chéri ;
Il faut s'en séparer... Le pauvre homme attendri,
En l'embrassant verse des larmes.
Lcphilosophecn vain vient, d'un ton de docteur,
Dire : « Gomme vous je suis père,
» J'aime fort mes enfans , mais qu'y voulez-vous faire?
» A quoi leur sert votre douleur.^ »
A tout cela, le pauvre laboureur.
L'air surpris, regarde son frère,
Et pose sa main sur son cœur,
CONTES EN VERS. àt
Mais le vent tourne, et la fortune
Qui, dit-on, fait comme le vent ,
Au laboureur ne garde plus rancune
Et tourne le dos au savant j
A sa maison éclate un incendie j
Sa fille se jette dans l'eau ;
Une cruelle maladie
Conduit sou fils aux portes du tombeau.
Mais, il faut lui rendre justice,
Sans murmurer ni répandre des pleurs,
Il supporte tous ces malheurs j
Et son frère accouru pour lui rendre service,
Le trouve d'unsang-froid que rien ne peut troubler.
« Tu vois, » dit-il , « l'efl^t de ma philosophie,
))A dm ire donc ma sagesse infinie,
» Tout cela ne peut Tébranler. »
Pour notre laboureur c'est bien une autre affaire ;
Son fils revient, il a gagné la croix.
Avec quel charme le vieux père
Entend le jeune militaire
Lui raconter ses combats, ses exploits !
Cependant il se dit: «Retournons chez mon frère ,
» Je suis heureux... mais peut-être que lui,
» Dans ce moment , perd son unique appui !... »
Heureusement la nature l'emporte :
Du philosophe elle sauve l'enibut j
Mais celui-ci, jamais nes'échauffant,
N'en est pas plus ému. « Que le diable t'emporte ! »
-4$ CONTES EN VERS.
Dit notre laboureur, de son calme irrité ,
(f Ah ! toute ta philosophie
» Consiste à n'avoir point de sensibilité !
)) Ne crois pas que je te l'envie j
)) Va, des maux de l'humanité
» J'aime mieux redouter les chances
» Que de fermer mon cœur aux plaisirs les plus doux.
» Lorsque viendront les chagrins, les souffrances j
» Lorsque du sort j'éprouverai les coups ,
» En respectant la main qui les fit naître,
)) A ton sang-froid bien loin de m'élever
» Je me plaindrai , je gémirai peut-être j
)) Mais celui qui nous donna l'être ,
» Alors qu'il nous punit, devons-nous le braver?
» Ah! qu'il me donnera de douces récompenses
» Lorsque ma femme , mes enfans ,
» M'entoureront de leurs bras caressans !
» J'éprouverai des jouissances
» Que ton cœur ne saurait sentir !
» Ne crois pas que jamais ton exemple m'entraîne ;
» Non. J'aime mieux'garder des larmes pour la peine
«Que d'en manquer pour le plaisir. »
L'ARDOISE.
Certain époux , dans le monde disait
Etre en amour un luron, un vrai diable;
Près de sa belle amant infatigable.
Que jamais danse ne lassait.
Quand il parlait ainsi sa femme se taisait ;
Mais laissant échapper un sourire ironique,
A son époux elle tournait le dos ,
Et ses yeux , son air sardonique ,
Semblaient démentir ses propos.
Un jour que plus qu'à l'ordinaire
Notre mari s'était vanté
De ses exploits dans l'amoureuse (guerre ;
« Osez-vous bien ainsi fausser la vérité ! »
Lui dit sa femme avec colère ,
Aussitôt qu'ils sont seuls tous deux ;
» De faire le vaillant n'étes-vous pas honteux !
i) A peine si dans la semaine
)> Vous m'adressez un petit mot!...
» Si court encor ! qu'il ne vaut pas la peine
» D'être compté j puis monsieur va tout haut
"Faire le conquérant; rhaf[ue IV'inme, je {jage ,
» Le croit un Hercule, un Tircis !
» On me fait compliment de mon heureux parterre.
4
50 CONTES EN VERS.
» Ma foi, monsieur, je vous en avertis,
» Agissez mieux, dites-m'en davantage,
» Ou vos propos par moi seront tous démentis.
I) — Vraiment, le reproche est unique ! »
Répond l'époux sans se déconcerter ;
»Yous vous plaignez de moi., quelle mouche vous pique;
» Allons, m'amour, vous voulez plaisanter.
» Quand je vous conte ma tendresse,
» Si vous dormez, est-ce ma faute à moi?
» Et voilà sans doute pourquoi
» Vous oubliez ce que je vous adresse.
» — Oh! quenenni, mon cher, je ne dors pas la nuit
» Quand vous voulez me conter une histoire.
» — Mais vous dormez après et perdez la mémoire
» De tout ce que nous avons dit.
» — Non, non, monsieur, jamais femme n'oublie
» Semblable conversation ;
» Nous n'avons sur cela nulle distraction.
» Vous ne pourrez au gré de votre envie
» Me faire accroire en ce moment
» Que le bien me vient en dormant.
» — Or çà, des cette nuit, madame,
» Je veux pour vous prouver ma flamme,
» Vous adresser les plus tendres discours.
n — Charmant projet , mais à la ruse
» N'essayez point d'avoir recours.
» — Pour que ni l'un ni l'autre ne s'abuse ,
» Ecoutez donc ma proposition ,
1) Et faites bien attention :
» Sur une ardoise , avec... du blanc d'Espagne,
w Tout ce que, cette nuit, je vous adresserai,
CONTES EN VERS. M
» A l'instant je le marquerai.
» Cela vous convient-il , mon aimable compagne ?
» — Oui ;, mais avec un changement :
))C'estmoi qui marquerai, mon cher, car autrement
» Vous pourriez me tricher encore.
» — Soit; j'y consens. J'espère, après cela,
» Que si le compte est beau , le monde le saura ;
» Et de faire le matamore
» Madame me pardonnera ?
» — Avec six baisers , je vous jure
M Que je vous tiens de bonne foi ;
» Eh ! mon ami, personne plus que moi
» ÎS'a le désir de perdre la gageure. »
La nuit vient : on se met au lit.
Notre dame a placé sur sa table de nuit
L'ardoise sur laquelle elle aura soin d'inscrire
Ce que son mari va lui dire.
Le blanc qui doit servir à ce d .-ssein
Est caché sous son traversin.
Bref, on a soufflé la chandelle;
L'obscurité que craignent les jaloux
Et qui sert les amans , ranime les époux.
Notre mari glisse à sa belle
Un mot bien tendre, qu'aussitôt
L'épouse note avec la craie
En faisant , à tâtons , sur l'ardoise une raie.
Le temps se passe , mais un mot
Pour {jagner ne saurait siiliire ;
Le pari n'est pas oublié.
De l'oreille de sa moitié
Le mari se rapprocli<»... Hélas ! le pauvre sire
5â CONTES EN VERS.
Ne trouve plus rien à lui dire.
Il s'épuise long-temps en efforts superflus...
La parole ne lui vient plus.
Sans se tourmenter davantage
Il se retourne et fait dodo ;
Mais sa moitié veut noter cet outrage :
Prenant l'ardoise elle pose un zéro ,
Puis elle attend le jour avec impatience.
Dans le monde elle veut que ce fait soit connu,
Brûlant de tirer vengeance
De l'affront qu'elle a reçu .
Le jour paraît , on se réveille :
Notre mari fait déjà le railleur ,
Puis, rappelant le pari de la veille :
«Eh! bien, dit-il, m'amour, pourquoi cet air boudeur?
» Il me semble pourtant que la nuit fut charmante.
» — Je vous conseille de parler ! . . .
» Le voilà donc cet homme qui se vante !
» — Un instant, nous avons des comptes à régler.
» Or, avant de me chercher noise,
» Madame, passez-moi l'ardoise.
» Vous seule avez marqué , vous ne le nîrez pas ?
» — Oui, certes, j'ai marqué. — Voyonsdoncencecas.»
Notre homme s'en saisit. .. Jugez de sa surprise ;
En marquant à tâtons , sa femme^ par méprise,
Après la raie a placé le zéro.
« Peste ! le joli numéro ! »
S'écrie alors l'époux, charmé de l'aventure,
« Vous ne vous plaindrez plus, je crois ;
» Pourtant , j'étais loin , je le jure ,
» De penser que j'avais causé jusqu'à dix fois. »
L'AVEUGLE ET SOIS FILS.
Après avoir bien servi sa patrie ,
Unsoldat cultivait son modeste manoir,
Regrettant chaque jour une épouse chérie
Dont il n'avait qu'un fils , son trésor , son espoir ;
Retrouvant près de lui cette image si chère,
Dans ses traits enfantins il se plaisait à voir
Renaître les traits de sa mère.
Un jour, un accident affreux
A ce pauvre soldat fait perdre la lumière.
Que deviendra le malheureux ?
Qui prendra soin de sa chaumière?
Son fils n'a que cinq ans, il ne saurait encor
Travailler pour aider son père !
Par suite de son triste sort
L'infortuné tombe dans la misère.
Plus de ressources sur la terre :
Il faudra mendier son pain ! . . .
Mais son enfant le tiendra par la main :
Cette pensée élève son courage j
Elle adoucira son destin.
Il n'est point de cruel chagrin
Que la main d'un fils ne soulage.
5-4 CONTES EN VERS.
Pauvre petit ! Veille sur ce trésor !
Combien ta tàclie est imposante !
De tonâge, n'ayant que la joie innocente,
Dans le malheur tu ris encor.
Ne plus te séparer de cette main si chère ,
IN'estpour toi qu'un plaisir nouveau !
Le lierre en (grandissant s'appuie après l'ormeau ,
Et l'enfant s'attache à son père.
Chaque jour , au pied d'un rocher ,
Près d'une limpide fontaine ,
L'aveugle et son fils vont chercher
Des cœurs sensibles à la peine.
Instruit par le malheur, bien loin de se hâter ,
L'enfant règle ses pas sur les pas de son père ;
Il lui serre la main s'il rencontre une pierre,
C'est lui dire de s'arrêter.
Lorsqueassis sans danger, l'infortuné le presse
D'aller jouer plus loin et d'être sans effroi :
« Non , » dit l'enfant avec tendresse ;
« Je suis bien mieux auprès de toi. »
Le temps s'écoule ; une légère aumône
Suffit pendant un jour pour leur avoir du pnin :
Le pauvre, pour le lendemain
A son créateur s'abandonne.
L'enfant grandit, il a huit ans.
Près de son père, admirant la nature;
Il passe ainsi tous ses instans;
Ecoutant les oiseaux qui chantent le printenips
Et l'eau du ruisseau qui murmure.
Mais l'aveugle en secret gémit :
COiSTES EN VEKS. ^P
L'avenir de son fils fait naître ses alarmes ,
Sur son sort il verse des larmes :
« Pauvre enfant, » se dit-il, « mon malheur te bannit
» Du monde, oii tu pourrais rencontrer la fortune :
» Près de moi , sans ressource aucune !
» Devant chacun t'humiiiant !
» ISe connaissant que notre humble cabane,
» Pour me guider, je te condamne
» A rester toujours mendiant! »
Du vieux soldat alors une larme brûlante
Attestait la douleur. L'enfant voyant cela ,
Lui disait d'une voix tremblante :
« Pourquoi pleures-tu ? Je suis là. »
Un jour, qu'au Ciel adressant sa prière ,
L'aveugle l'invoquait en faveur de son fils.
« Je prétends finir tes soucis , »
Lui dit des environs Un gros projirietaire
Qui l'avait écouté. » Cet enfant est gentil ,
»> J'ai quelquefois entendu son babil;
» Donne-le-moi. Par mes soins , je te jure
» Qu'il ira loin. Je veux en tenter l'aventure.
» Je le mettrai dans une pf-nsion ;
)i Je lui ferai rlonner de l'éducation,
» Et, s'il se conduit bien , de mes dons s'il profite,
» Je puis le faire entrer commis
» Dans une maison de Paris.
» Cela te convient-il? Alli)ns , répoi Is-moi vite;
)• Sans c«'t enfant de nu'me on te se ulagera.
» Tu n'y vois pas, \\n chien te conduira. »
S6 CONTES EN VEKS.
Un chien pour remplacer son enfant ! ... Ah ! j'espère
Que cet homme n'était point père.
L'aveugle hésite... en lui donnant son fils
II perdra bien plus que la vie !
Mais tout bas une voix lui crie :
« Songe au sort d^ l'enfant. .. » Il n'est plus indécis :
« Emmenez-le, » dit-il j « oui, je me sacrifie.
))Cherenfant, je te perds, mais c'est pour ton bonheur;
» J'expirerai de ma douleur,
» Mais ta Jeunesse , au moins, ne sera pas flétrie
» Par l'indigence et le malheur.
V — C'est bien, dit le richard : tes peines sont cruelles^
» Mais ton fils , quelque jour, pourra les adoucir.
» D'ailleurs tu sais mon nom; quand je pourrai venir,
» Je t'en donnerai des nouvelles.
» Allons, mon cher petit, ensemble il faut mai cher...
» Viens donc... » Maiscelui-ci, loin d'agir de lasorte,
A son père veut s'attacher.
Notre homme alors le saisit et l'emporte.
L'enfant remplit l'air de ses cris;
A son secours il appelle son père ;
Il tend vers lui ses bras , et , dans ses traits chéris
Son regard cherche encore un appui tutélaire...
Son père infortuné ne voit point sa douleur.
Mais il entend sa voix si chère ;
Ses accens déchirans pénètrent dans son cœur. . .
La voix s'éteint... L'aveugle tremble... espère...
L'écho dans le lointain répète encor : Mon père !
Mais l'enfant n'a plus répondu!...
« Ah ! » dit le malheureux, en tombant sur la pierre,
CONTES EN VERS. 57
« C'en est donc fait , j'ai tout perdu ! »
Rien désormais ne peut adoucir la misère
Du pauvre aveu{j)e à souffrir condamné j
Et maintenant, infortuné,
Qui te guidera sur la terre!...
Il est près du rocher où des accens chéris
De son cœur fermaient la blessure ,
Il s'assied sur la pierre où l'enfant s'est assis;
Il entend à ses pieds le ruisseau qui murmure,
Et, trop souvent, poussé par la nature,
Il avance la main pour rencontrer son fils.
Un jour, cédant au désir qui l'entraîne ,
Il arrive en tremblant, après bien des périls.
Jusqu'à la porte du domaine
De l'homme auquel il confia son fils;
Il s'informe, se fait connaître ,
Demande son enfant. .. mais discours superflus!
La maison a changé de maître,
On ne sait ce qu'il veut, on ne l'écoute plus.
L'aveugle, désolé, retourne sur sa pierre;
C'est là , c'est auprès du rocher
Qu'il attend que son fils revienne le chercher,
Ou qu'il veut finir sa carrière.
Revenons à l'enfant : à la distraction
Le chagrin doit céder dans un âge aussi tendre.
Placé dans une pension,
Il se montre avide d'apprendre;
Il fait de rapides pro^jrès ;
S8 CONTES EN VERS.
Son bienfaiteur est fier de ses succès.
Et quand Tenfant s'informe de son père ,
Dont il garde toujours un profond souvenir.
Le riche ne dit mot, il attend , il diffère j
Il a semé pour lui, seul il veut recueillir;
Mais la mort, un beau jour, lui fait plier bagage!...
Le jeune homme a seize ans , de l'esprit , du courage :
Mais sans argent, sans protecteur,
Que fera-t-il, jeté dans un monde trompeur?
Il ne balance pas : avec joie il s'engage :
Le métier des armes lui plaît.
Des souvenirs confus lui disent que son père
Dans sa jeunesse a fait la guerre;
A l'imiter il trouve de l'attrait.
Au plus fort des périls où sa valeur l'entraîne
Il va chercher la gloire et brave le trépas;
Par sa valeur dans les combats,
A vingt ans il est capitaine,
Et décoré du signe de l'honneur.
La guerre est terminée , on va dans sa patrie
Retrouver des parens, une amante chérie ;
Notre jeune guerrier n'aura point ce bonheur !
Triste, pensif, il voyage en silence,
Las!... il ne connaît point le lieu de sa naissance,
Et de son pauvre père il ignore le sort !
Vainement il s'informe, il ne peut rien apprendre.
Il voudrait l'embrasser, ou , du moins , s'il est mort ,
Il voudrait pleurer sur sa cendre.
Quand il rencontre en son chemin
Un homme privé de la vue,
CONTES EN VERS. ^
Son cœur bat, son ame est émue ,
Il court... l'interroge soudain.
Ce n'est pas encor lui... Son ame se resserre;
Au malheureux il donne des secours ,
Puis à l'enfant recommande toujours
De ne jamais quitter son père.
Un général dans son château
Fait venir notre capitaine.
Là , tout est brillant, tout est beau j
Là , cédant en secret au penchant qui l'entraîne ,
De la fille du général
Il devient amoureux , et la jeune personne
En secret aussi s'abandonne
Au plaisir de l'aimer, n'y voyant aucun mal.
Mais sans famille, sans richesse,
L'amant n'espère point former un tel lien ,
Et du général la noblesse
Doit mettre obstacle à cet hymen.
Hors du château promenant sa tristesse,
Dans un lieu solitaire il se plait à rêver.
Le cœur occupé de sa chaîne.
In jour, le jeune capitaine
Regarde autour de lui , surpris de se trouver
Dans un endroit qu'il croit connaître ;
Déjà son cœur vient d'éprouver
Une .«senfation dont il n'est pas le maître.
Avec avidité ses regards vont clierclicr
Des souvenirs en tremblant il s'avance...
Il reconnaît ce chemin... ce rocher,
Tout lui rappelle son enfance.
Il s'arrête... Quel est te bruit?...
60 CONTES EN VERS.
C'est un ruisseau dont l'onde pure
Traverse ce sentier. . . Tout bas son cœur lui dit
Qu'il a dans son enfance entendu son murmure. . .
Il n'ose avancer... il frémit...
Ah ! si le Ciel exauçait sa prière !
Dieu ! que voit-il . . . plus loin , sur une pierre
Un vieillard vénérable, un aveugle est assis.
Il court en s'écriant : « Ah ! répondez de grâce !
» Que faites-vous à cette place?
» — Depuis douze ans, j'attends mon fils...
» — Votre fils! le voilà... dans ses bras il vous serre.
» — Que dites-vous. . . Quoi ! j'aurais ce bonheur. . .
» — Pour vous en assurer, mon père ,
» Mettez votre main sur mon cœur. »
Du pauvre aveugle on devine l'ivresse :
C'est son enfant chéri que dans ses bras il presse !. . .
Et son fils, reprenant l'emploi qu'il a quitté ,
Jusqu'au château soutient sa marche qliancelante ;
Puis, au père de son amante
Il le présente avec fierté
En lui disant : « Voilà mes titres de noblesse,
Mon père est toute ma richesse. »
Tant de vertus, tant d'amour filial
Attendrissent le général;
Au jeune capitaine il accorde sa fille.
Tranquille désormais ^ au sein de sa famille,
L'aveugle est doublement heureux.
A son fils tout rit, tout prospère :
L'enfant qui fut le guide de son père
Doit être béni par les dieux.
L'ÉCARTÉ
Quelle nouvelle folie !
Quelle invention jolie,
Que ce jeu de l'écarté!
C'est une mode constante,
Une rage en vérité.
Je vois la nièce et la tante,
Je vois l'oncle et le neveu
Jouer ensemble h ce jeu.
Là , ce jeune fou se vante
De passer jusqu'à vingt fois;
Ici, l'on se mord les doigts :
C'est quelque commis, je pense ,
Qui perd, dans une séance,
Ses appointemens d'un mois.
Cette dame, qu'on admire,
En perdant ne fait que rire,
Et joûrait, dans son ardeur,
Jusques à son cachemire
Sans montrer la moindre humeur!
Ah ! je vois à son sourire
Que ce milord ohhgrant
Lui fournira de l'ar{;eiit.
62 CONTES EN VERS.
Partout ce jeu se faufile ,
Et , du faubourg Saint-Germain
Jusques au quartier d'Antin ,
Je le vois courir la ville,
Sans s'arrêter en chemin.
Le Marais , jadis si sage,
Cette fois cède à l'usage :
Qui ne joûrait pas, je crois.
Se ferait montrer aux doigts.
Sur ce tapis rien ne manque :
J'y vois des billets de banque.
Ici , méditant ses coups ,
Ce rentier risque deux sous.
Au bal, ce n'est plus la danse
Qui remplit tous nos instans ;
Les hommes passent leur temps
A courir après la chance,
A chercher le bon côté ;
Tandis que les jeunes filles
Maudissent leur écarté.
Mesdames, en vérité,
On vous trouve fort gentilles.
Mais, auprès de vous, peut-on
Faire le coup du lion ?
C'est là le bonheur suprême,
C'est le seul plaisir qu'on aime.
Jadis on vous adorait ,
Près de vous on soupirait ;
Aujourd'hui pareille affaire
Ne nous intéresse guère ;
Nous aimons bien mieux, ma foi!
CONTES EN VERS.
Avoir la vole et le roi .
Certaine femme jolie ,
Épouse d'un gros marchand ,
Avait aussi du penchant
Pour la nouvelle folie.
L'ëcarté lui plaisait fort.
Son ëpoux , rêvant sans cesse
A son commerce, à sa caisse,
Rarement faisait l'effort
De jouer avec sa femme;
Mais il laissait à madame
Une entière liberté
D'agir à sa fantaisie.
Du cher homme le génie
N'était pas le beau côté ;
Il ne portait pas sa vue
Plus loin que son nez, au plus.
(Notez qu'il était camus) ;
Mais, c'est chose reconnue,
Pour faire de bons maris
Les myopes ont le prix.
Or, sa femme était jolie.
Je crois que je vous l'ai dit ;
Lne bouche bien garnie.
Des yeux pétillans d'esprit,
Des appas à formes rondes ,
Bien placés, bien soutenus;
De superbes boucles blondes ,
Un beau teint , trente ans au plus.
6A CONTES EN VERS.
Certes, voilà de quoi plaire;
Si gentille ménagère
Doit pouvoir se satisfaire
Quand elle a la volonté
De jouer à l'écarté.
Jamais figure drôlette,
Pied mignon, jambe bien faite,
De joueur ne manquera
Quand ce désir lui prendra.
Certain voisin, homme aimable.
Bien pris, galant, de bon ton,
Va souvent dans la maison.
A l'écarté c'est un diable ;
Le jouant fort bien, dit-on,
S'échauffant, piquant sur quatre.
Passant dix à douze fois.
Comme un autre en passe trois.
Une femme aime à se battre
Avec un pareil joueur ;
C'est un plaisir, un honneur
De lui gagner la partie.
Le voisin, rempli d'ardeur,
Chez la marchande jolie
Tous les jours vient s'établir.
Pour jouer tout à loisir.
Dans la chambre de madame
Se tient l'aimable combat;
Et là, sans bruit, sans éclat,
Pendant que, loin de sa femme.
L'époux devant son bureau
Pose zéro sur zéro,
CONTES EN VERS. G5
Et que son esprit s'exerce
Sur les chances du comme;'ce ;
Les autres, de leur côté,
S'exercent à l'écarté.
Mais, voyez la médisance!
Dans le voisinage on rit;
On juge sur l'apparence ;
Et IJieu sait tout ce qu'on dit!
Sur le voisin, la voisine.
Sur la partie à huis clos,
Sur le mari , sur sa mine ,
BreF, mille insolens propos!
Nos joueurs, s'il faut le dire.
De cela s'occupent peu ,
Et n'en font pas moins leur jeu.
Pour l'époux, le pauvre sire
IS'a jamais été jaloux ;
Mais, un ami du ménage.
Vieux garçon du voisinage ,
Vrai furet de rendez-vous.
Voulant tout voir, tout connaître,
Epinnt tout ce qu'on fait ,
Ecoutant à sa fenêtre
Caché derrière un volet ;
(Courant de chez l'un chez l'aulre.
Sans l)ut, sans nécessités,
Disant des méchancetés
Eu faisant le bon apôtre ,
Chez le marchand, un beau soir,
Entre, se met au comptoir,
En disant : « Je viens vous voir.
QQ CONTES EN VERS.
» — C'est très-bien, j'en suis fort aise.
» — Toujours au travail ? — Ma foi!
» Il n'est que ça qui me plaise ,
» C'est mon élément à moi.
» — Et votre femme? — Elle joue
» Là-haut, avec le voisin.
» — Quoi! toujours?... — Ils sont en train
» Depuis deux heures. — J'avoue
>) Que vous m'étonnez. — Pourquoi ?
» — Laisser ainsi votre femme
» Avec un galant!... Pour moi,
» Ce n'est pas que je vous blâme;
» Mais le monde jase aussi!...
» Il n'approuve pas ceci ;
» Sur ces jeux fréquens on glose ,
» Je vous le dis, entre nous,
» Si j'en crois ce qu'on... suppose...
» Mon cher, prenez garde à vous.
» • — -Pardieu! vous me faites rire
)) Avec tous vos demi-mots ,
» Votre monde et vos propos !
» Allez, quoi qu'on puisse dire,
» Ma femme est une vertu ;
» Aimant le jeu, c'est connu;
)) Mais s'occuper d'amourette!...
» Peste, on s'adresserait bien
» D'aller lui conter fleurette!
» On n'arriverait à rien.
» Tout à l'heure, ayant affaire
» Auprès d'eux, j'ai pu les voir
» Jouant comme à l'ordinaire :
CONTES EN VERS. 67
» C'est leur bonheur chaque soir.
» Aux cartes ma femme excelle,
» Et le voisin , auprès d'elle ,
» Mon cher, n'y voit que du feu.
» Une fois qu'elle entre au jeu
» Elle est diablement tenace !
» Elle vous tourne les rois !
» Et peut, sans quitter la place,
» Passer, au moins, douze fois.
» Mais, tenez, sans plus attendre,
» Près d'eux montez sans façon ,
» Vous prendrez une leçon.
» — Volontiers, je vais m'y rendre, »
Répond notre vieux garçon,
Enchante d'aller s'instruire
De ce que l'on fait en haut.
Chez madame, sans mot dire.
Il se dirige aussitôt j
]Ne se donnant point l'allure
Et le pas lourd d'un mari ,
Qui fait craquer sa chaussure.
Tousse, crache, chante, jure,
Pour chasser le favori ;
Ce qui , du reste , est fort sage
Et prouve un homnie prudent.
Notre furet de ménage
N'avance qu'en maraudant j
Son pied léger port*; ?i peine;
Vrai troubleur de rendez-vous,
En retenant son haleine,
Il ne va qu'à pas de loups.
(38 CONTES EN VERS.
Tout en allant de la sorte,
Il se trouve doucement
Auprès de Tappartement
Dont on a fermé la porte ,
Pourquoi? vous devinez bien :
L'époux a fait sa visite ,
Dès lors on ne craint plus rien ,
Et de cela l'on profite
Pour renouer l'entretien.
Où, sans crainte, sans alarmes,
On trouve de nouveaux cliarmes ,
Quand au départ de l'époux
On a poussé les verrous.
ISotre furet, qui sans doute
S'attendait à tout cela,
Auprès de la porte écoute.
Il saisit par-ci , par-là ,
Certains mots qui lui font croire
Que le jeu s'anime fort.
Ce n'est pas assez encor,
Et notre homme met sa gloire
A s'assurer par ses yeux
De ce qu'on fait en ces lieux.
Par le trou de la serrure
Dans l'appartement on voit;
C'est une ressource sûre :
Il s'y braque; il aperçoit
La forme de la partie
Que l'on y joue à l'écart.
Aussitôt le vieux renard
CONTES EN VERS. 69
Revient d'un air gojruonard
Vers l'époux qui multiplie ,
Ecrit, compte, et coûtera,
Et qui lui dit : « Vous voilà ?
(( Dans la chambre je parie
» Qu'ils sont encore à jouer?
» — C'est vrai, je dois l'avouer,
») Mon cher ami , votre femme
» Est très-forte à l'écarté.
» A ce jeu pas une dame
» IN'a plus de dextérité.
» — A-t-elle toujours la veine':'
» — Oui , mais elle vous la mène ! . . .
» Sou joueur, sans se lasser,
» Paraît vouloir la pousser,
» Car, aussitôt la partie
» Qui venait d'être finie ,
» Je l'ai vu recommencer. »
LA JUPE ENCHAINTEE
On m'a conté que jadis, en Sicile ,
Près de Palerme , ou près de Cozenza ,
Je ne saurais dire au juste la ville,
Un vieux seigneur de Satan acheta
Jupesuperbe et de vertu magique.
Quand à sa femme un époux la mettait ,
De se l'ôter en vain elle tentait;
Le mari seul, par un mot diabolique
Pouvait l'ôter et la remettre encor.
Ce n'est pas tout! écoutez le plus fort:
Quand une femme , ayant cela sur elle ,
A son époux devenait infidèle ,
Dès qu'à ses yeux paraissait son amant ,
La jupe, alors parlait fort clairement :
C'étaient des feux, un tourment, un malaise,
Et des transports et des démangeaisons !...
Fallait sauter , danser, quitter sa chaise.
Se remuer enfin de cen't façons.
Et notez bien que sur femme jolie
Dès ^ue la jupe avec force agissait.
Soit par le charme , ou soit par svmpathie ,
Comme elle , alors , l'amant se trémoussait.
Point de faiblesse et de secrètes flammes
CONTES EN VERS. 7i
Dont un mari ne fût par elle au l'ait.
Triste jupon , convenez-en , mesdames ,
Et qui pour vous aurait eu peu d'attrait.
Quoi! nos jaloux d'une femme {r^n'ille
Sauraient ainsi la moindre peccadille!
Ah ! c'est affreux ! un pareil talisman ,
Certes j ne dut venir que de Satan.
Et puis , avoir une femme charnifinte
Et lui laisser constamment un jupon !
A tout cela je ne vois rien de bon.
Je ne crains pas que le diable me tente :
Je lui dirais : Gardez tous vos présens ;
Je ne veux pas savoir si ma mùtresse
Auprès d'un autre a connu la tendresse.
Quand, m'entourant de ses bras caressans.
Dans ses beaux yeux je puise mon ivresse,
Lorsque sa bouche appelle le baiser ,
Et que sa main dans la mienne est placée ,
INe croyez pas que j'aille m'amuser
A contrôler sa secrète pensée.
Bien mal venu , quaad je tiens le bonheur,
Qui médirait : Tu ne tiens qu'une erreur.
Non , je le tiens , ce n'est point un mensonjje ,
Et dans ses bras cent fois je l'ai goût*!!
Amour passé, pour moi ce n'est qu'nn songe;
Amour présent c'est la réalité.
Mais revenons : le seigneur de Sicile
Ne pensait pas là-dessus comme moi.
Richardini (c'est son nom ), imbécille ,
Laid, vieux, goutteux et d'humeur difficile,
72 CONTES EN VERS.
Voulait qu'on fût pour lui de bonne foi,
Qu'on l'adorât , qu'on lui restât fidèle ;
Mettant toujours en avant son honneur.
Pauvre petit , qui croyait qu'une belle
Pour lui devait éprouver de l'ardeur.
Richardini , craignant fort d'être dupe ,
Sans marchander avait payé la jupe,
Quoique Satan l'eût mise à prix de roi !
Dès qu'il l'a tint il se dit : « Prenons femme,
M Je ne crains plus qu'on se moque de moi,
» Je connaîtrai les secrets de la dame. >j
Le pauvre sot!. . . c'était plutôt le cas
D'être prudent et de n'en prendre pas.
Richardini se met donc en ménage ;
Sans trop gémir avec lui l'on s'engage:
Car des valets, des bijoux , un château,
Pour un moment rendent un mari beau.
La jeune Iseult, vive, leste, étourdie.
Reçoit d'abord et sa main et son nom ;
Et, le matin du jour qu'on la marie ,
Le vieux jaloux lui passe le jupon.
En lui disant : u JNe l'ôtez pas , ma chère ,
« Ce talisman conserve la beauté. »
Avec ces mots aux femmes on fait faire
Tout ce qu'on veut. Toujours désir de plaire
Par elles fut avant tout consulté.
Pendant un an, Iseult paraît fort sage,
Et le mari bénissait son destin.
Quand de sa femme arriva le cousin
CONTtS EN VERS. 73
Qui revenait de faire un long voyage.
Le cousin fut logé clans le château.
Il avait l'air doux , modeste, timide...
Fiez-vous-y!... Que le monde est perfide!
Le lendemain , l'aimable jouvenceau
ÎS'est pas plus tôt auprès de sa cousine,
Que le jupon les brûle, les lutine j
On n'y. tient plus ; avec son pastoureau
Madame danse et fait mainte folie.
Voyant cela, le barbon en furie ,
Se dit : « J'en tiens , je n'en saurais douter ,
» C'est le cousin qui m'en a fait porter !
)/ Avertissons mon ami le corsaire
» Qu'il peut mener ma femme au grand-seigneur. »
Notre mari termine ainsi l'affaire;
Livrant sa femme à ce Turc, pourvoyeur
Des principaux sérails de sa liautesse.
Ah ! s'il fallait , pour pareille faiblesse ,
Du grand sultan meubler ainsi la cour !
Si chaque époux jouait ce malin tour
A sa moitié sur l'article étourdie ,
Il nous faudrait bientôt, pour la Turriui»;,
Célérifère allant troi.sfois par jour.
Apres six mois d'ennuis et de veuvage,
Richardini se dit: Choississons mieux;
Pour une, il ne faut pas perdre courage,
Tseult était trop vive , trop volage;
Puis, j'aurai soin de bannir de ces lieux
Tous ces cousins, la perte des familles,
7U CONTES EN VERS.
Vraisdébaucheurs de femmes et de filles. »
Pour ne pas être attrapé, cette fois,
Notre jaloux d'une Agnes a fait choix.
Elle a seize ans, elle est douce, ingénue,
Parle fort peu, baisse toujours la vue;
C'est un mouton qui, devant son mari ,
Se tient bien droite, et n'ose dire oui.
Sans résisterelle passe la jupe.
En rougissant, promet d'en prendre soin.
L'époux se dit : « Je ne serai point dupe,
» Et celle-ci n'en avait pas besoin !
» IS'importe, il faut toujours delà prudence:
» La jupe, au moins, couvrira l'innocence.
« Heureux jupon ! garantis ces contours,
» Trésors secrets formés par les amours ! »
Pendant six mois tout se passe à merveille ;
Après ce temps , je le dis à regret ,
Soit que d'Agnès Tinnocence sommeille,
La jupe fait encore son effet.
Un beau matin noire belle entre en danse
Avec un jeune et gentil troubadour,
Qui lui faisait chanter tendre romance ,
Et sur un luth soupirait son amour.
Pour une Agnès la petite s'en donne !
Notre ingénue au plaisir s'abandonne;
Quoique tenant toujours ses yeux baissés.
Sa danse est vive, et de ses balancés
Les mouvemens sont très-bien cadencés.
Son troubadour avec ardeur limite ;
C'est vainement qu'on veut les arrêter.
CONTES EN VERS. 7o
Ricliardini, que cette danse irrite,
Court au corsaire, et, sans se lamenter,
Au grand-seigneur fait présent de sa femmet
Et de deux ; rnoi je crois qu'après cela
Notre barbon devait s'en tenir là.
Non pas vraiment ! . . . il jure dans son ame
Qu'il en prendra jusqu'à ce que le sort
Lui fasse avoir une femme fidèle.
Il lui faudra chercher long-temps encor !
Dans son manoir une épouse nouvelle
Paraît bientôt. Elle a trente-six ansj
Son air est fier, ses regards imposans.
D'un mot trop gai sa vertu s'effarouche;
Il ne faut pas près d'elle plaisanter;
C'est une prude, on ne peut se vanter
De voir jamais le rire sur sa bouche.
« Pour cette fois, sur l'honneur de ma couche
)) Je crois enfin que je pourrai compter, >»
Dit l'épouseur, en passant à la dame
La jupe que le diable lui vendit.
Mais ce n'est pas sans peine qu'à sa femme
Il peut la mettre, il faut tout son crédit
Pour opérer cette cérémonie
Qui de madame alarme la pudeur.
(( Ce jupon-là garantit votre honneur,
» Gardez-le bifn, » lui dit-il, " belle amie.
» — Que je le garde ! eh ! qui donc oserait
M Me le ravir? Lue telle insolence
» Coûterait cher à qui le tenterait î
•> — Fort bien, ma foi ?» se dit l'époux ; «je pense
76 CONTtS LN VERS.
» Que mou honneur n'ira plus à vau-l'eau. »
Huit jours après ce dernier mariage,
Ricliardini , partant pour un voyage ,
Quitte sa lemme et la laisse au château,
Lui promettant de faire diligence.
Son mariage est encor trop nouveau
Pour redouter les effets de l'absence.
Au bout d'un mois notre homme est de retour.
Qu'avec plaisir il revoit le séjour
De sa moitié toujours chaste et sévère!
Dans son ivresse, il ordonne un festin;
Puis, au banquet il conduit par la main
Cette beauté, de son honneur si ficre.
Mais c'est le diable!,., à son aspect soudain
Notre époux voit sauter son médecin ;
Puis un laquais, garçon de bonne mine;
Puis l'intendant, jusqu'au chef de cuisine,
En la voyant, ne peuvent y tenir.
Ce sont des sauts, des bonds, des cabrioles ;
Jamais on n'a vu de danses plus folles ;
Tout est en l'air, c'est à n'en plus finir.
« Ah! scélérate, ah! traliison infâme, »
Dit le mari , courant 'dprhs sa femme ,
Qu'il veut en vain empêcher de sauter.
« La voilà donc cette prude sévère ,
» Avec mes gens elle m'en fait porter! »
Il peut parler, on ne l'écoute guère!...
Et c'est encor notre ami le corsaire
Qui des époux termine les débats.
CONTES EN VERS. 77
La prude fait voile pour la Turquie;
Bientôt après d'une autre elle est suivie,
Et puis encor, on ne s'arrête pas.
A chaque instant on voit femme jolie
Qui du sultan va grossir les états.
Le grand seigneur bénit cette folie ,
Qui fait payer les femmes bien moins cher,
Et le corsaire y gagne aussi sa vie :
Grâce au jupon il est toujours en mer.
Mais cependant, une telle conduite
Fit redouter l'hvmen du vieux seigneur.
Quand il offrait et sa main et son cœur,
Sans l'écouter femme prenait la fuite;
De l'épouser on n'était plus d'humeur,
On le craignait autant que Barbe-Bleue;
Il inspirait aux fillrs la terreur;
Toutes, enfin, le fuyaient d'une lieue.
Sans la trouver, il cherche maintenant
Jeune beauté pour prendre en mariage
Quand, dans ses bois un jour se promenant,
Il aperçoit fillette du village.
Au pied mignon , à l'œil vif, au teint frais.
Richardini contemple ses attraits,
Puis, de la main , il fait signe à la belle.
Qui vient à lui sans se faire prier.
(' Qui donc es-tu ?. . . — Monseigneur, » répond-elle,
" Je suis l'enfant de votre jardinier.
» Bien que Jeannette, enfin, votre servante.
» — Birn que cela!... mais elle est ravissante !,,.
» Tiens, ma Jeannette, il faut nous marier.
» — Nous marier!... Ah! monseigneur plaisante!
78 CONTES EN VERS.
» — Non pas vraiment. En serais-tu contente?
» — Ma fine oui ; ça me ferait plaisir;
» Dans un château l'on doit se divertir.
» — L'aimable enfant ! . . d'honneur elle m'enchante!
» A son aspect je me sens rajeunir. »
Le vieux seigneur emmène sa trouvaille;
Avec Jeannette il forme un doux lien.
Dans son château, le jour de son hymen,
On chante , on rit , on boit , on fait ripaille ;
Puis notre époux prend Jeannette en secret,
Et vous devinez bien ce qu'il lui met...
C'est le jupon. La petite avec grâce,
Se tient debout pendant qu'il le lui passe ,
Le trouve beau... bien ample , bien bouffant.
Or, vous saurez que cette aimable enfant,
Sous son air simple et la grande cornette,
Cache la ruse et l'esprit d'un démon.
Depuis long-temps la petite Jeannette ,
Du vieux jaloux habitant la maison
Sans qu'il la vît, l'épiait en cachette;
Rien n'échappant à l'œil d'une fillette.
Elle aperçut les effets du jupon.
Jeannette alors se dit : « Vengeons mon sexe ,
» Qu'on vend aux Turcs, et que le diable vexe. »
D'après cela , bien loin de redouter
La main du vieux, et la jupe fatale ,
L'aimable enfant grille de la porter ;
Elle a son plan et, sans se tourmenter.
Jeannette attend l'union conjugale.
En se disant : « L'or est un tahsman
CONTES EN VERS. 79
» Qui vaut, au moins, tous les dons de Satan j
» Dans le château qu'une fois je m'installe ,
» Avec de l'or je gage réussir. »
Après riiymen, sur son simple désir,
Richardini, sans hésiter, lui laisse
Et ses trésors , et le soin de sa caisse.
Qu'on soit fidèle est pour lui le grand point,
De tout le reste il ne s'occupe point.
Que fait Jeannette? Aussitôt elle ordonne
A ses valets, à ses gens du château,
Puis aux bergers, aux hommes du hameau,
Bref, à tous ceux qui verront sa personne,
De ne jamais l'approcher qu'en dansant ,
En sautillant, gambadant et valsant.
Pour de l'argent il n'est rien qu'on ne fasse j
Puis, celui-ci gaiment se gagnera.
Le lendemain , dès que madame passe ,
Aucun valet ne peut tenir en place,
Et c'est à qui le plus haut sautera.
Jeannette aussi danse par-ci par-là.
Sur quoi l'époux, en se frottant la vue,
Dit : « Ils sont fous, ou bien j'ai la berlue j
» Je ne l'ai pas quittée un seul moment
» Depuis hier que Ihymen nous engage,
)» Je suis donc bien certain qu'elle fut sage;
» Et mes valets sont tous en mouveinenl !...
» Ah! c'est trop fort, et je commence à croire
» Que le jupon a perdu la mémoire. >»
Prenant alors sa femme sous le bras :
80 CONTES EN VERS
« Je veux, «dit-il, «quel'on vous rende hommage;
» Venez, mon cœur. » Mais ne voilà-t-il pas
Que sa moitié fait danser le village;
Sur son chemin , tout le monde est en l'air,
Bergers, fermiers, c'est une frénésie;
Jeannette enfin partage leur folie.
Et fait sauter jusques au magister.
Ah! pour le coup, plus d'injustes alarmes.
Et le mari lui-même rit aux larmes
En regardant danser tout le hameau ;
Puis il s'écrie : « Ah ! que j'étais nigaud !
» Et je croyais à la vertu magique
» De ce jupon ; ô maudit talisman !
)) Mais je comprends la ruse diabolique;
» C'est moi qui suis la dupe de Satan!
» Pauvres tendrons, maintenant en Turquie,
» Je le vois bien , c'est fort innocemment
» Qu'auprès de vous on dansait constamment!
» Mais oublions, s'il se peut, ma folie,
» Et toi, jupon, qui m'as coûté si cher,
» Ya-t'en au diable et retourne en enfer. »
Après ces mots, voulant venger ses femmes.
Il prend la jupe et vous la livre aux flammes.
Or vous jugez, en la voyant roussir,
Si Jeanneton ("prouve du plaisir!
INc portant plus cette jupe perfide,
De son époux elle combla les vœux.
Voyant par elle, et la prenant pour guide,
Avec Jeannette il vécut fort heureux;
En promettant chaque jour à sa femme
CONTES EN VERS. 81
De ne plus rien acheter du démon ,
Il retrouva la douce paix de l'anie,
Et le bonheur revint dans sa maison.
Après cela, sur ce que fit Jeannette,
Je ne dis mot , je le laisse à penser
Ne craignant plus la parure indiscrète,
Elle pouvait à son aise danser;
Mais elle sut sauver les apparences,
C'est un devoir : avec son favori
II ne faut pas, bravant les convenances.
Se mettre en danse au nez de son mari.
LA NATURE.
Un jeune Anj^lais revenait d'Amérique,
Rapportant sur son bâtiment
Une cargaison magnifique.
Il s'occupait déjà du placement;
Au moment d'arriver, une horrible tempête
Fait nauf rager le vaisseau près du port ;
Tout va périr..., pour éviter la mort,
Notre Anglais ne perd pas la tête :
Il saisit une planche avec ses bras nerveux,
Et se laisse flotter sur la mer orageuse.
Bientôt une vage écumeuse
Le pousse sur la rive où tendent tous ses vœuxj
Mais c'est sur les côtes de France
Que notre Anglais vient d'aborder.
Il n'a plus rien; trop fier pour demander,
Assez tristement il s'avance....
Dans un endroit désert, sur le haut d'un rocher,
Il aperçoit un ermitage.
« Allons, » dit-il, « je vais tâcher
» De trouver dans ce lieu sauvage
» Pour quelque temps un abri protecteur. »
Pour gravir le rocher, retrouvant son courage,
CONTES EN VERS. 85
Il arrive bientôt. Mais l'ancien possesseur
De cette modeste retraite
Venait de descendre au tombeau.
L'Anglais entre, il voittout, lendroitn'estpasfortbeau,
Les murs sont en rocher; un humide caveau
Sert de chambre à coucher. Des racines, de l'eau,
Composaient les repas de l'humble anachorète.
Dans ce triste réduit, loin d'accuser le sort,
TSotre Anglais, se montant la tête
Et d'un beau sentiment éprouvant le transport,
S'écrie : « Ah 1 c'est ici que paisible, tranquille,
» On doit couler des jours heureux;
» Oui, la paix est dans cet asile,
» Loin du monde , du bruit , loin des ambitieux,
» Et de ces faux plaisirs qui troublent notre vie;
)) C'est ici, je le sens, qu'il faut vivre et moin-ir;
» Oui, tout à la nature, à l'abri de l'envie,
» De ses nombreux bienfaits ici je vais jouir. «
De cet Anglais le zèle était-il véritable?
Je l'ignore, mais, en tous cas,
Il vient très a propos, et c'est fort raisonnable
De mépriser ce qu'on n'a pas.
Il s'établit dans l'ermitage.
Se vêtit fort légèrement;
Marchant pieds nus, couciu'; très-durement ,
La barbe longue, l'air d'un sage,
Fait 8e« adieux aux rosbeefs, aux beeftoks,
Et (ht racines^ de fruits secs
Se nourrit dans ce lieu sauvage.
8i CONTES EN VERS.
Un jour qu'assis sur le rocher
Il contemple à loisir l'orage qui s'apprête,
Un homme accourt. Il vient chercher
Dans sa demeure une retraite.
Jetant les yeux sur notre anachorète :
« O ciel! » dit-il! « est-ce bien toi?
)) Edouard, mon ami!... — Mais c'est Alfred, je croi.
» — On te croyait noyé! cher ami, ton naufrage
» T'aura jeté sur ce rocher sauvage :
» Que fais-tu donc ici? — Mon cher, je suis heureux,
» Et je jouis, en homme sage,
» Des biens que la nature étale sous mes yeux.
» — Comment? danscedésert ! — Tiens, vois cette coUine
« La mer. . . cette forêt. . . est-il rien de plus beau ?
» — Mais il est plus doux, j'imagine,
» D'admirer tout cela du balcon d'un château.
» Et ce costume? — Ah ! c'est celui de l'homme
» Qui sait braver et le froid et le chaud.
» Que me faut-il de plus? Quand il mangea la pomme
» Notre père commun n'avait point de manteau.
» — C'est fortbien; cependant, pour marcher sur des pieri
» Tu n'as pas des souliers. — Eh 1 qu'en ai-je besoin? '
» Bien plus facilement j'évite les ornières !
» La nature, mon cher, pour courir eut le soin
» Denousdonner despieds et nonpas des chaussures.
» Je marche sans souliers et crains peu les blessures.
» — Allons , j'en conviens , c'est fort beau ;
» Mais j'aurais bien besoin de manger un morceau.
» — Assieds-toi. .,mange,bois. — C'estlà ton ordinaire?
» Il est plus que frugal, et tu fais maigre chère;
» Ce breuvage, ma foi, n'a rien de restaurant.
CONTES EN VERS. 85
» — Pour me désaltérer je puise cette eau claire
» Dans ce ruisseau... Quel cristal transparent!..
» Ces racines, ces fruits, présens de la nature,
» Suffisent pour nourrir une anie simple et pure.
>) O mon ami , fais comme moi ,
» Reste en ces lieux , pour goûter à ton aise
)) De tous ces biens nouveaux pour toi...
» — Non pas, vraiment! bien loin que ce séjour me plai.sc,
» Je vais partir j je te fais compliment ,
» Je t'admire, je te le jure :
» Adieu, sois tout à la nature,
» Moi, j'aime mieux vivre autrement. »
Son ami Ta quitté. Pendant plus d'une année
Notre Anglais reste dans son trou.
Mais un de ses cousins , revenant du Pérou ,
Meurt sans avoir formé les nœuds de l'hyménée.
De tous ses biens au reclus il fait don.
Grâce à son jeune ami , qui connaît sa retraite.
On trouve l'héritier dans son humble maison.
En apprenant son sort le sage perd la tête :
Jetant au loin son sale vêtement
Et son déjeuner de rhubarbe ,
Se chaussant, se faisant la barbe,
En moins d'une heure , il a quitté son logement.
Avec son messager, il passe en Angleterre ;
De tousses biens il prend possession.
Puis , dans le luxe et la profusion ,
Faisant grand train et bonne chère ,
Cédant à ses penchans , suivant tous ses désirs ,
Plus quo jamais il sp livn- aux plaisirs.
86 CONTES EN VERS.
Dans un banquet, buvant , faisant tapage,
Un jour son ami le revoit.
Souriant, dès qu'il l'aperçoit :
« Te voilà , » lui dit-il « mon sage !
» Eh quoi ! sur ton rocher tu n'es pas endormi ?
>) Et la nature? — Ah ! mon ami !...
» Qu'elle est belle ! mais c'est quand on a fait naufrage. »
LE RAT.
« Mor^Tué! comment faut-il donc faire ? »
Disait Matliurin le fermier
A sa gentille nn-nagère ,
Femme accorte et très-peu sévère
Avec son voisin le meunier.
« J'ons pourtant mis dans le grenier
» Notre plus grande souricière ,
» Et je n'attrape pas ce rat
)) Qui fait clieux nous tant de dégât.
» Nos deux garçons , Gros-Jean et Pierre ,
» L'ont vu passer sous les fagots :
» Mais ils disent qu'il est si gros
» Que ça fait peur ! Je crains, ma chère ,
)) Que le coquin ne puisse pas
» Entrer dans notre souricière.
» Si je n'avais pas peur des rats ,
» Je m(î mettrais en embuscarle ;
» Mais en voir un me rend malade,
» Surtout s'il est en liberté.
» — Ecoute , » répond la commère ;
i< Bien plus que toi , sans vanité ,
I) Mon cher, j'ai delà fermeté;
88 CONTES EN VERS.
M Un rat ne m'effarouche guère !
» Je prétends guetter cette nuit
)» L'objet de ta terreur extrême ;
» Je veux m'assurer par moi-même
» S'il est aussi gros qu'on ie dit.
» Dans le grenier , dessus la paille ,
» Jel'attendrai. — Quoi! tout de bon !
» Tu ne crains pas ce rat ?.. . — Eh ! non ! ,
» — Mais prends quelqu'un delà maison
» Avec toi. — Le jour on travaille;
» La nuit nos gens doivent dormir.
» Sois tranquille; pour le saisir
» Avec moi je ne veux personne ;
» Ce rat ne me mangera pas.
» — Va comme il est dit, en ce cas;
» Morgue, tu fais une luronne !^'»
La nuit vient, et , quand Mathurin
Dans son lit est allé s'étendre ,
La fermière prend le chemin
Du grenier, où vient de se rendre ,
En secret , le meunier voisin ,
Sans doute pour l'aider à prendre
Ce rat qui met tout en rumeur ,
Et dont notre époux a si peur !...
Le pauvre homme serait-il dupe ?
Assis sur la paille tous deux ,
Est-ce bien du rat qu'on s'occupe ?. . .
Soit ! . . . Pendant qu'ils sont en ces lieux,
Mathurin , seul, sur sa couchette,
Cherche le repos qui le fuit.
CONTES EN VERS. 89
Le rat lui trotte dans la tête ,
Il croit l'entendre sous son lit.
Tremblant, il se lève sans bruit ,
Et se dit : i< Voyons si ma femme f
» A pris quelque chose là-bas.»
Vers le grenier à petits pas
Il se dirige. Mais la dame
A fermé la porte avec soin.
L'époux frappe de loin à loin,
Sans trop se presser , car il pense
Que sa femme a pu s'endormir.
— « Eh ! qui donc peut ainsi venir ? »
Dit la fermière, sans ouvrir,
Et du ton deTimpatience.
« — C'est moi , ma femme : a-t-il paru .'*. . ,
n — Comment , c'est toi ! Que viens-tu faire ?
» — Le rat ?. . . — Mais veux-tu bien te taire 1
)) Tu l'effarouches... — L'as-tu vu?
» — Eh oui , sans doute , il est superbe !
»> Peste, il ne se nourrit pas d'herbe,
» Il est de taille , celui-là ! . . .
» — Mais enfin , dans ta souricière
» Espères-tu qu'il entrera .'
» — Sans doute , il est entré dc-jà ;
» Mais le coquin ne reste guère !
» Va-t'en ; je suis à le guetter...
» Je crois que je l'entends gratter...
M Sauve-toi.» Sans ouvrir la bouche,
Mathurin regagne sa couche ,
V.n un instant il est en bas ,
Car il croit le rat sur ses pas.
90 CONTES EN VERS.
Tant bien que mal la nuit se passe 5
Mais sitôt que le jour renaît ,
Vers le grenier , avec audace,
Il se rend. Sa femme en venait.
« Ha çà , mais, ai-jela berlue ? »
Dit notre homme en la contemplant ;
» Qui donc t'a si bien mise au blanc ?
» T'en voilà joliment pourvue ,
» Et par derrière et par devant 1
» Serais-tu tombée en rêvant ?
» C'est par ma foi de la farine !
» — Eh ! sans doute, c'en est , nigaud j
» Pour prendre des rats , pauvre sot ,
» On s'en couvre, quand on est fine.
» Mais tu ne comprends jamais rien.
» — Je suis un oison , j'en convien.
» Mais, montre-moi ta souricière j
» Ah ! quel plaisir je vais avoir !...
» Le coquin est en ton pouvoir !
r. — Tiens , regarde ,» dit la fermière ,
En faisant voir à Mathurin
Un rat petit , maigre et vilain.
« — Comment ! voilà toute ta prise !...
» C'était bien la peine, ma foi ,
» De s'exposer au vent , au froid ,
» Pour une telle marchandise !
» Il est plus petit qu'un pierrot ;
n Tu n'as pas pris le gros , ma chère.
» — C'est ta faute après tout, grand sot, »
Répond, en riant, la commère,
« Il ne faut pas y pendant la nuit |
CONTES EN VETIS.
» Venir avec delà lumière
» Me troubler et faire du bruit.
» De le saisir j'ai la manière,
» Mais , ne reviens plus te montrer !
» S'il t'entend , dans la souricière
» Il n'osera pas pénétrer. >»
91
EDMOiSD.
Un jour, dans un riant parterre
Se promenait Edmond avec son précepteur.
Edmond n'a que huit ans , c'est l'âge du bonheur ,
Où Ton ne songe, en cueillant une fleur,
Qu'au doux plaisir de l'offrir à sa mère.
C'est pour cela qu'Edmond fait un bouquet.
Déjà dans son humeur volage,
Courant du lilas à l'œillet ,
Partout il moissonne, il ravage.
Le bouquet devient gros... il glane en liberté;
Mais l'enfance est ambitieuse ,
Ce n'est que par la quantité
Qu'on parvient à la rendre heureuse.
Dans le haut d'un épais bosquet
Edmond aperçoit une rose :
Elle manquait à son bouquet.
Il faut grimper, c'est peu de chose,
Et la rose n'en plaît que mieux!
Edmond la saisit, il la cueille...
Mais des pleurs coulent de ses veux...
Près de son précepteur il revient tout honteux,
La main ensanglantée... arrachant feuille à feuille
CONTES EN VERS. 93
Cette fleur qui l'avait charmé.
<« Qu'avez-\ous donc? » dit le maître alarmé,
« Quoi! faut-il, pour quelques piqûres,
» Effeuiller, accabler d'injures
» La rose... la reine des fleurs!
» — Ça... la reine des fleurs... Ah! vous riez, je pense,
» Elle pique, et déjà j'aime moins ses couleurs.
» — L'objet dont aisément on a la jouissance
» IN'est pas, Edmond, celui qui donne le bonheur.
» Vous connaîtrez plus tard que ce précepte est sage;
)> Vous grandirez, et vous direz, je gage :
» Il avait bien raison mon précepteur. »
Le temps passe, d'autres soins viennent;
Edmond est fort bien fait, il a bonne façon ,
Et toutes les dames conviennent
Que c'est un fort joli garçon.
Il est riche, sa table est boune,
Il est aimable, généreux,
Et comme dans le monde on s'attache aux heureux.
Chacun s'attache à sa personne.
Partout il est chéri , fêté,
A ses moindres vœux on s'empresse;
Les danif's ont pour lui presque autant de tendresse
Qu'il a de générosité.
Mais au sein de la volupté,
Dans les fêtes, dans la mollesse,
Edmond voit que le bonheur cesse
Dès que vient la satiété.
Tout bas il soupire, il s'ennuie,
Il n'ose encore en convenir ;
9A CONTES EN VERS.
Mais il sent bien que dans la vie
Tous les jours du plaisir, ce n'est plus du plaisir.
Si j du moins, à ses vœux on mettait des obstacles...
Mais pour contenter son désir
On ferait plutôt des miracles I
(( Ah! » dit Edmond lassé de son bonheur,
« Il avait bien raison, mon précepteur.
» La rose sans épine aurait bien moins de charmes I . . .
» Chez toutes ces beautés qui m'ont rendu les armes,
» J'aurais bien voulu rencontrer
» Ce qui jadis a fait couler mes larmes!
» Hélas! je n'ai qu'à me montrer!...
)) Tout cède... tout sourit... grâces à ma fortune,
» Je n'ai plus rien à désirer,
)) Et sur mes pas une foule importune
» Yole au devant de mes moindres souhaits!
» Que je suis malheureux!... Que faire?...
» Qu'est-ce donc qui pourrait me plaire?...
» Eh ! mais, dans mes jardins anglais,
» J'aperçois des buissons de roses...
» Ah ! courons bien vite en cueillir ! . , .
» A me piquer je sens que j'aurai du plaisir. »
Edmond court... Il faut peu de choses
Pour ranimer un faible esprit ! . . .
Pris du rosier Edmond sourit ;
Il s'arrête, contemple, admire.
« Ah ! qu'on a bien raison de dire
» Que voilà la reine des fleurs ! »
Puis, éprouvant presque une jouissance,
Vers le buisson sa main s'avance...
Mais ses valets, autres flatteurs,
CONTES EN VERS. 95
Craignant pour lui de légères douleurs,
S'il voulait cueillir une rose,
Et voulant lui montrer leur zèle en toute chose ,
Ont désarmé les belles fleurs.
Edmond, dont la main se hasarde,
En cueille plusieurs. . . il regarde ,
Et ses yeux se mouillent de pleurs.
C'est en vain qu'il les examine !
Hélas ! elles sont sans épine !
Il les rejette avec fureur.
En disant : « Quelle différence!
» J'aimais bien mieux celles de mon enfance...
» Ah! qu'il avait raison, mon précepteur! »
LE VIEUX CHENE.
A l'ombre d'un épais feuillage ,
Sous un chêne majestueux,
Laure , en s'éloignant du village ,
Va rêver à son amoureux.
Le chêne qui protège Laure
Est révéré par les amans,
Et, quoique vieux, il peut encore
Recevoir les plus doux sermens.
Laure a seize ans, elle est charmante;
Son cœur est tendre et sans détour,
Et dans ses yeux, son ame aimante
Se peint pure comme un beau jour.
Armand lui jure ardeur extrême.
Chacun lui dit : C'est un trompeur.
Mais à seize ans, celui qu'on aime
ÎNe fera que notre bonheur.
Sous le vieux chêne , où la prudence
Devrait l'empêcher de venir,
CONTES EN VERS. 97
Laure a perdu son innocence ,
Armand a trouvé le plaisir.
Chaque soir l'amour les ramène
Près de ce témoin de leurs feux.
A ne point quitter le vieux cliêne
Laure bornerait tous ses vohix.
Bientôt Armand se fait attendre.
Ces momens lui semblent moins doux.
Il est moins empressé. . moins tendre...
Bientôt... il manque au rendez-vous.
Laure , seule , est sous le vieux chêne ;
Ce confident de son bonheur
Devient le témoin de sa peine ,
De ses larmes^ de sa douleur.
Passant souvent la nuit entière
Sous l'arbre qu'ils avaient choisi _,
Laure, sans fermer la paupière.
Se dit : »< Je dois l'attendre ici. »
Dans la vallée, oia son œil [)lon[{e,
PJle croit rcntendre... le voir...
Le jour renait... c'était un songe!
(Chaque instant (rompe son espoir.
Ses veilles, sa peine cruelle,
Ont flétri son teint, sa beauté;
Et pourtant Laure est cncor belle
D'amour et de fidélité.
98 CONTES EN VERS.
Un jour enfin, près du vieux chêne,
Le volage Armand a passé;
Laure dit : « L'amour le ramène. »
Vers lui son cn^ur s'est élancé.
« Ali! je t'attendais, » lui dit Laure,,
(( Long-temps mes vœux furent déçus !
» Pourquoi fuir celle qui t'adore?
» — C'est que... je ne vous aime plus. »
A ces mots quittant la pauvrette ,
L'ingrat disparaît à ses yeux,
Et Laure immobile, muette.
Semble fixée aux mêmes lieux.
Le jour a fini sa carrière ,
La pluie a grossi le torrent ,
La foudre gronde... à sa chaumière
Le villageois craintif se rend.
Sous le chêne la triste Laure
Reste dans ce fatal moment,
Car elle croit entendre encore
Les derniers mots de son amant.
« O Dieu! » dit-elle ;, « vois ma peine,
» Ici j'ai connu le bonheur ;
» Ah! fais-moi mourir sous ce chêne
» Où j'ai cru posséder son cœur. »
Du vieux chêne la tête altière
Au tonnerre vient d'échapper...
CONTES EN VERS. 99
Il tombe... Laure est en poussière...
Est-ce elle qu'il devait frapper ?
Sous le chêne ; Laure repose ;
Là^ tant d'attraits furent reçus :
Sur la pierre on voit une rose
Et ces mots : // ne V aimait plus.
Jeunes amans , que ce feuillage
Par vous soit toujours respecté.
On l'a nommé dans le village
L'arbre de la fidélité.
Vain espoir!... Toujours d'âge en âge
L'inconstance l'emportera ,
Et l'on fera_, sous son ombrage,
D'autres sermens... qu'on trahira.
LE MARI SENTINELLE.
Le sot mal que la jalousie !
Pauvres maris , lâchez donc d'en (juérir.
C'est un transport , c'est une frénésie,
Qui n'est bonne souvent qu'à nous faire haïr.
Je vous propose ce dilemme,
A vous qui regrettez verroux et cadenas :
Oul'on vous trompe, ou l'on vous aime,
( Aimer veut dire ici qu'on ne vous trahit pas ).
Si votre épouse est fidèle
Vous vous tourmentez à tort ;
Si l'on vous trompe, en vain vous ferez sentinelle ,
Vous ne pourrez éviter votre sort.
C'est aux habitans de l'Espagne
Que je m'adresse, à ce peuple galant ,
Auquel l'amour , dans ce climat brûlant ,
Fait souvent battre la campagne.
Je sais que les maris français
Près de leurs femmes sont plus sages;
C'est le pays des bons ménages ,
La jalousie a chez nous peu d'accès.
CONTES EN VERS. '101
Nous nous fions à la foi de nos belles,
Nous n'avons pas à nous en repentir !
Car presqu'autant que nous ces dames sont fidèles.
Je suis forcé d'en convenir ;
Et l'on ne verrait pas près d'elles
Des maris faire sentinelles
Comme celui que je vais vous offrir :
C'était dans l'Andalousie
Que vivait don Ribéra.
Il avait femme jolie ,
Maison , ferme , métairie.
Moi , je crois qu'avec cela
On peut gaiment passer la vie ;
Mais , d'une sombre jalousie
Notre pauvre époux est atteint.
Toujours triste, inquiet , contraint.
Le voyez-vous prèsdesa femme?
L'air soupçonneux , les yeux hagards...
Il veut lire au fond de son ame!
Convenons-en , de tels regards
N'inspirent point une bien douce flamme ;
Et, pour plaire à sa fennne, au lieu dètre jaloux ,
Il vaudrait mieux lui faire les yeux doux.
Inès aime les fleurettes ,
Lps soupirs, Ips petifs mots ;
Jolis ricus, dout , à projjos.
On .se .sert en pmourettes.
Car il faut de ramour. par des soins assidus ,
^02 CONTES EN VERS.
Entretenir la flamme éblouissante ;
La laissez- vous devenir languissante:
Bientôt elle ne brûle plus.
Mais Ribéra par sa folie
A déjà trouvé le moyen
De perdre le cœur de sa mie.
Il la suit , l'obsède , l'ennuie ,
L'accuse à tort, et fait si bien
Que, de dépit, la jeune femme
Sent naître dans le fond de l'ame
Désir ardent de se venger.
Pauvre mari , je te vois en danger !
Et ce n'est plus à tort que le front te démange ,
Car nous savons comment une femme se venge.
L'époux, craignant la trahison,
A renvoyé sa servante fidèle;
Lui seul , avec sa femme , habite sa mai.son ;
Et, tous- les soirs , il meten sentinelle
A la porte de son jardin
Un formidable mannequin ,
Bien vêtu, bien armé, qui, se trouvant dans l'ombre,
rSe peut manquer, dès qu'il fait sombre.
D'effrayer les galans qui voudraient se montrer.
Malgré ses soins, en secret pour sa femme
Un beau jeune homme est tout de (Inmme.
Il soupire , il fait soupirer :
Car, en dépit du mal que Ribéra se donne,
Inès a vu notre galant;
Yl est gentil , bien fait de sa personne ;
CONTES EN VERS. -105
Son regard est tendre et brûlant.
Tandis que son mari. . . Dieu ! (juelle différence ! . . ,
Tout cela pour l'amant fait pencher la balance.
Mais comment se parler ? l'époux est toujours là.
L'amant a gagné la servante
Chassée à tort par Ribéra.
Quand c'est pour se venger, femme est bientôt savante;
Elle fait parvenir à la belle un billet ,
Dans lefjuel on l'engage à se rendre au bosquet,
Pendant que son mari sommeille.
Mais un jaloux a toujours l'œil au guet :
Soir et matin Ribéra veille;
L'amoureux, désolé, caché dans le jardin ,
Voit , chaque nuit, fuir l'espoir qui le berce;
Si bien qu'en sa fureur il perce
Et coupe en deux le mannecjuin
Qui semble narguer sa tendresse.
En descendant le lendemain ,
A visiter partout don Ribéra s'empresse...
Quel spectacle frappe ses yeux. .
On a tué sa sentinelle :
Preuve que des galans sont venus en ces lieux.
« Ah, morbleu ! « se dit-il, <( je vous la garde balle,
» Beaux troubadours, coureurs de nuit!
» Mon soldat , dés ce soir, va se mettre en fléfense ;
I» >e di.sons rifu , ne .'•"aisous point de bruit,
» Je punirai leur in.solence. »
Au gré de ses désir?* , la nuit arrive enfin ;
^otre jaloux (quitte sa belN-,
Et, sous riiabil du manîiequin.
[i^JJL
Ci
^0A CONTES EN VERS.
Armé jusques aux dents , se met en sentinelle.
Inès, par un chemin secret,
Se rend aussitôt au bosquet;
A l'amant elle apprend ia ruse.
La servante, à l'instant, se couvre d'un manteau,
Sur ses yeux enlonce un chapeau;
Et, pendant qu'au bosquet notre couple s'amuse,
Devant le mari va rôder,
Sans trop l'approclier, et pour cause.
Ribéra, tenant bouche close,
Attend, i'épée en main, qu'on ose l'aborder.
Au point du jour, Inès va regagner sa couche;
L'amant quitte, à regret, le bosquet tant chéri;
Et la servante , fine mouche,
Disparaît aux veux du mari.
« Ah ! ah! » dit Ribéra trompé dans son attente,
« C'est dommage qu'il n'ait point osé me toucher;
» Mais, peut-être demain il voudra s'approcher.
» Nous y serons, il iaut qu'il sente
» La force de mon bras. Je passerai plutôt
» Vingt nuits de suite, s'il le faut;
( » Mais j'accomplirai ma vengeance. »
Notre jaloux alors rentre dans sa maison.
Sa femme l'attend en silence.
(< Eh bien! » dit-il , « j'avais raison
» D'aller me mettre en sentinelle;
» Dn homme a, cette nuit, rôdé près de ces lieux,
» Et certes, c'est pour vous, la belle;
» Mais je saurai léconipenser son zèle.
» — Ah ! » dit Inès en baissant ses beaux yeux,
CONTES EM VERS. i05
» Du sentiment qui vous anime
» Je suis loin de vous faire un crime ;
)) Surveillez ce galant, vous nie ferez plaisir j
» Au moins vous serez sûr que je vous suis fidèle,
» Et désormais mon seul dosir
)) Est que, toutes les nuits, vous fassiez sentinelle. »
L\ FEMME AUTEUK.
Deux frères, riches commerçans,
Pensaient à se mettre en ménage :
Chacun voulait une compagne sage,
Douce, jolie et de bon sens;
Chacun enfin , c'est l'ordinaire ,
S'en créait une a sa manière.
Dans une maison de Paris ,
Où , sous les yeux des mamans et des tant&j,
Plusieurs demoiselles charmantes.
En jouant au nain jaune, attendaient des maris ,
rSos deux Irércji un jour sont pris.
Chacun a trouvé sa chimère,
Ln ange de beauté, de vertus et de goût;
Enfin celle qui sait lui plaire;
Car ce mot-là renferme tout.
Tous deux bientôt en confidence
Se disent leurs secrets, les nœuds qu'ils vont former,
En demandant à l'autre c«; qu'il pense
De celle qui l'a su charmer.
« Ma foi, » dit le cadet, « je parle avec franchise :
t> Mais celle qui te plaît ne m'aurait pas séduit;
» Elle est fort bien , j'en conviens; mais sa mise
CONTES EN VERS. ^07
» N'annonce pas de goût, et, dans ce qu'elle dit,
» Je n'ai pas , entre nous , trouvé beaucoup d'esprit.
» Ah! quelle diFférence auprès de mon Elise!
» Ses mots sont recherchés, et de traits délicats
» Sa conversation fourmille.
» De sa beauté je ne te parle pas ..
» En grâces, en esprit, en talens elle brille...
» — J'en conviens , » dit l'aîné, « c'est une belle fille;
» Mais de tout son esprit , moi , je fais peu de cas.
>) Certes, je ne veux pas dans ma femme une bête,
» Mais on peut , sans briller, s'assurer ma conquête.
» Celle que j'ai choisie a bien moins de jargon ;
» Elle est sensible, douce, sage,
» Elle saura conduire sa maison,
» Et n'est point étrangère aux détails du ménage;
» Yoilàcequimeplaît.Tiensnoussommesmarchands,
» Tâchons sur notre état de régler nos penchans.
» Ma femme aura le soin de la dépense;
»» Qu'elle ait de l'ordre, et j'aurai du crédit;
» Mais on a moins de confiance
» Dans celle qui fait de l'esprit.
» — Allons , tu veux rire, mon frère,
» L'esprit n'a jamais rien gnté.
» Ma future, sans vanité,
» Eait d«'S romans comme Voltaire,
») C'est un [)rodige, en vérité!
» Celle dont la plume éloquente
» Peint h's sentiincns les |[)liis doux,
» Doit avoir uik' auie brûlante
» Pour ses enfans et son époux. »
Après avoir, suivant l'usage.
-108 CONTES LN VERS.
Ri de ce que raïUie disait;,
Chacun suivit son goût et se mit en ménage
Avec celle qui lui plaisait.
Pendant les premiers temps, chacun se félicite,
Notre cadet, surtout, se trouve fort heureux;
Pour sa femme, brûlant toujours des mêmes feux,
A chaque instant il la prône, il la cite.
Chez son frère , souvent, accourant tout joyeux :
t< Tiens, » lui dit-il, « lis cela tout de suite,
» C'est de ma femme... hier elle a fait un sonnet!...
» Et la tienne?. . . — La mienne, elle a fait un bonnet
» Pour l'enfant que bientôt , j'espère , elle me donne.
» — Mais avant peu , je crois , je serai pèie aussi.
» Ma fennne des enfans s'occupe. Dieu merci !
» Il faut voir comme elle raisonne!
H Sur l'éducation elle fait un traité,
» Elle v mêle des vers et de la métaphore.
.) — La mienne veut nourrir ; elle ne pense encore
») Qu'à prendre soin de sa santé. »
INos deux maris deviennent pères.
Cette fièvre qu'on nomme amour
Après riivjnen ne dure guères,
Ou ses accès sont moins fréquens de jour en jour.
Mais, tandis que l'ainé fait toujours bon ménage,
. Chez le cadet gronde l'orage :
A rimailler à composer.
Son épouse passe sa vie.
De ce train le mari commence a se lasser.
Quand il veut déjeuner, on fait une élégie.
CONTES EN VERS. i09
Qu'il faut avant tout terminer ;
Le soin d'une tendre romance
De deux heures souvent recule le dîner,
Et, pour rêver à quelque stance,
Madame, chaque soir, s'en va se promener.
Sa maison semble lui déplaire;
Les valets v font tout; l'enfant est délaissé,
Sans qu'on sache comment, l'argent est dépensé.
Quand l'époux veut parler affaire,
On lui lit le j>remier chapitre d'un roman.
Ou d'une comédie on lui conte le pian.
Le mari désolé s'en va trouver son frère
En s'écriant : « Tu me l'avais bien dit!
» Pour unsimplebourgeoisma femme a trop d'esprit.
» Mon commerce est perdu !.. parle, qup fnnt-il faire?
» — Il faut montrer du caractc-re.
» Ciiez toi , dis-tu , tout est à l'abandon ;
» Viens, conduis-moi dans ta maison,
» C'est là que je prétends t'instruire. »
On arrive chez le cadet :
Madame était dehors; droit à son cabinet
Le frère aîné se fait conduire.
Là, prenant complainte et sonnet,
Idylle, madrigaux, roman, stance, élégie,
De tout cela ne faisant qu'un paquet,
ISotre homme y met le feu. . . Le pauvre époux s'écrie :
M Que va dire ma femme en voyant tout cela?
» — Qu'importe ce qu'elle dira,
» Si nous guérissons .sa manie.
» Je reviendrai demain , de ce {{raud codi) (i'(rlal
» Voir quel sera h*, n-suilat. »
MO CONTES EN VERS.
Le lendemain , en effet , chez son frère
Il se rend de bonne heure ; il le voit tout joyeux
Qui, dans ses bras, et l'embrasse et le serre
En disant : « Grâce à toi, je vais donc être heureux!
» — Quoi ! » dit l'autre, « déjà ton épouse est guérie
» De son goût pour la poésie?
» — Ahlbienniieuxquecela, mon cher, elle est partie.
» — Comment, ta lémme? — Elle a quitté ces lieux.
» D'abord ses transports furieux
» Ont failli me coûter la vie !
» Puis elle s'est calmée, et cette nuit enfin,
» Me laissant pour adieu cet écrit de sa main ,
» Elle est passée en Angleterre ,
» Oii, tout à son aise , elle espère
» Suivre désormais son penchant;
» Et , dans cette terre classique
» Des démons et du romantique,
» Oublier qu'elle fut l'épouse d'un marchand.
» Qu'elle suive son goût, qu'elle fosse à sa tête,
» Femme qui laisse époux , enfant ,
» Mérite peu qu'on la regrette.
» De tes avis j'aurais dû faire cas :
» INon , une femme auteur ne me convenait pas ,
» Et tout différemment j'élèverai ma fille.
» J'estime les beaux-arts , mais enfin je conçois
» Que ce qu'il faut d'abord à nous autres bourgeois,
» C'est une mère de famille. »
LA PETITE BRODEUSE.
Caroline, jeune brodeuse,
Habitait un petit réduit,
Où de son travail le produit
Suffisait pour la rendre heureuse.
Comme elle sortait du berceau
Les protecteurs de son enfance
Etaient descendus au tombeau ,
Ne lui laissant que Tinnoceuce
Pour bien, pour unique trésor.
Ajoutez-y taille bien fine ,
Tendre regard , voix argentine
Et puis d'aulres appas encor,
Que l'on voyait croître avec l'âge;
Comme moi vous direz, je gage,
Ah ! pauvre enfant , ce trésor-là
A bien des gens va faire envie!...
Dès que l'on voit fille jolie ,
C'est à qui le lui volera.
Mais, dans sa petite chambrette,
Caroline, riant, chantant,
Ne s'occupe y)oint d'amourette,
Et s'endort en .se promettant
'Hâ CONTES EN VERS.
De ne jamais prêter l'oreille
Aux tendres propos d'un amant.
On croit tenir un tel serment ;
Mais tôt ou tard le cœur s'éveille
Aux charmes d'un doux sentiment.
INe jurez pas chose impossible;
Aimable entant, moins de fierté,
Ce n'est pas pour être insensible
Que l'on vous donna la beauté.
Dans la maison où Caroline
Habite tout près du grenier,
Un jeune homme de bonne mine
Vient de se loger ou premier.
Il a vingt ans, de la tournure.
De l'esprit , mais peu de talens ,
Une aimable et douce figure ,
Un grand ton, des dehors brillans.
Sa fortune est considérable ,
Mais il sait la mener grand train...
C'est le jeu , les chevaux , la table !
Ne songeant point au lendemain ;
Giistave passe ainsi sa vie ,
Courant de plaisir en plaisir.
Et n'ayant jamais eu l'envie
Ni le projet de réfléchir.
Il n'est point pour lui de cruelles ;
Les amours volent sur ses pas...
Tronve-t-il des femmes fidèles?
Je ne vous Taffirmerai pas.
I/amour sincère, la constance
CONTES EN VERS. M3
Grâce au ciel , ne s'achètent point ;
Et plus d'un richard , sur ce point ,
Sera toujours dans Tindigence.
Il pense qu'avec son argent,
A ses désirs rien ne s'oppose ! . . .
Mais l'amour est la seule chose
Qui se double en se partageant.
Ce dieu, d'une humeur singulière,
Que l'or ne fixera jamais,
Souvent préfère une chaumière
Aux lambris dorés d'un palai.s.
En allant porter son ouvrage ,
En descendant son escalier,
Caroline , sur son passage ,
Voit notre élégant du premier.
Qui, d'abord, sans y prendre garde,
Passe près du joli minois;
Puis le lendemain la regarde.
Puis veut causer une autre lois.
Découvrant chaque jour en elle
Des grâces , des charmes de plus ,
Gustave , dans ses sens émus.
Eprouve une flannne nouvelle,
Oui doit durer au moins... huit jours 1
Mais qu'il croit alors éternelle!
Le plus inconstant dit toujours :
« Cette lois je serai fidèle. »
Kpris d'un nouveau sentiment,
On jure d'aimer pour la vie!
Kt , pour une autre, l'on oublie
MA CONTES EN VERS.
Que l'on a fait pareil serment.
D'ailleurs une simple brodeuse
Doit s'estimer par trop heureuse
De fixer un si beau monsieur !
C'est ce qu'il se dit, j'imagine.
Prends garde , pauvre Caroline ,
N'écoute pas ce séducteur.
Mais d'où vient donc qu'en ta chambrette
Tu n'as plus ta joyeuse humeur?
Tu parais rêveuse , inquiète ,
Tu ne sais plus ce que tu fais ;
Quittant l'ouvrage de la veille
Tu veux chanter.. . et tu te tais;
A la porte, prêtant l'oreille,
Vingt fois tu quittes ton métier ;
Puis, jusqu'au bas de l'escalier
Tu descends pour la moindre chose ,
En disant : « Si jamais il ose
» Me reparler de son amour,
» Je saurai lui dire à mon tour
» Que tous ses propos seront cause
» Que je quitterai ce séjour, »
Prends bien garde, pauvre petite !
Ah ! si tu pensais tout cela,
Tu ne descendrais pas si vite
Quand passe ce beau monsieur-là.
Des vains projets de la fillette
On devine ce qui s'ensuit :
Bientôt jusque dans sa chambrette
Notre jeune homme la poursuit ;
9
CONTES EN VERS. Mo
D'abord on lui ferme la porte. . .
PuiS;, on l'écoute un seul moment...
Et puis l'amour enfin l'emporte,
Et l'on se fie à son serment.
On est crédule quand on aime.
Gustave est tendre , plein d'ardeur,
Et pour cueillir si belle fleur
Il monte avec joie au sixième.
Au grand monde donnant le jour,
Il suit le même train de vie;
Jouant, faisant mainte folie.
Et gardant la nuit pour l'amour.
Il trouve près de Caroline,
Beauté , fraîcheur, taille bien fine ,
Sentiment vrai , cœur sans détour.
Et pourtant, ingrats que nous sommes î
Tout cela ne nous suffit pas. . .
L'inconstance a donc des appas
Qui doivent subjuguer les liommes !
Souvent un minois chiffonné
Nous fait quitter femme johe ;
Et, pour un cœur cent fois donné ,
Nous trahissons fidèle amie.
Df'jà Gustave, au bout d'un mois,
Dans son amour n'est plus le même :
Quand il faut monter au sixième ,
Monsieur y regarde à deux fois ;
Tandis que la pauvre petite ,
L'oreille au guet... le cou tenîu ..
Ecoute... et, pour le voir plu« vite,
Déjà vingt fois a descendu.
^\S CONTES EN VERS.
Mais ailleurs trouvant d'autres charmes ,
Près d'elle il cesse de venir ! . . .
Pauvre enfant ! que de jours de larmes
Paîront quelques nuits de plaisir !
Sans se permettre un seul murmure,
Caroline souffre en secret.
Son cœur fier cache sa blessure ;
Et, si l'ingrat la rencontrait,
Loin de lui laisser voir ses larmes ,
Elle le fuirait : en amour,
Femme qui se plaint chaque jouf ,
Perd chaque jour de nouveaux charmes.
Mais quand vient l'heure où chacun dort,
En silence, dans la nuit sombre,
Quittant son obscur corridor,
Caroline descend, dans l'ombre,
Jusqu'à la porte de celui
Qui jadis accourait près d'elle
Brûlant d'amour. . . Ce temps a fui !
Mais elle adore l'infidèle.
S' asseyant devant le séjour
Où l'ingrat sans elle repose,
Elle rêve à ses nuits d'amour;
Dit : « Il est là. . . » C'est quelque chose
D'être auprès de l'objet aimé ;
Quoique privé de sa présence ,
Le cœur, en secret ranimé,
Sent moins vivement sa souffrance :
Quand, pour adoucir son ennui ,
Elle dit : « Je suis près de lui , »
C'e«t encore une jouissance.
CONTES EN VERS. 'H 7
Dans le tourbillon des plaisirs ,
Volant de conquête en conquête ,
Satisfaisant tous ses désirs,
Suivant toujours sa folle tète,
Gustave tombe en peu de temps
De l'opulence dans la gêne.
Cherchant à se tirer de peine ,
Il joue, et des coups éclatans
Achèvent bientôt sa ruine.
Il n'a plus rien, et des huissiers,
Des recors et des créanciers
La troupe chez lui s'achemine,
(justave court cliez ses amis,
(>hez ses éléfrantes maîtresses;
Mais il a perdu ses richesses :
Chez aucun d'eux il n'est admis.
De Caroline à l'instant même
Le souvenir s'offre à ses yeux ;
C'est lorsque Ton n'est pas heureux
Qu'on pense à celle qui nous aime.
Dans le bonheur on est in^^rat ,
Celn n'est pas à jiotrc jjloire!
Mais \f malheur (pii nous a})at
>ous rend toute notre mémoire.
Gustave remonte au {jrenier.
Il entre , et dit à la petite :
« J<' n'ai pins fliisiie au pi»'mi<'r;
» J'ai tout perdu , chacun m'c'vite...
n Je ne sais où porter mes pas... »
-l-l^ CONTF.S EN VERS.
Caroline court dans ses bras ;
Cédant au plaisir qu'elle éprouve :
« Ah! » dit-elle, « je te retrouve,
» Je ne t'adorai que pour toi !...
)) Cher ami , reste près de moi î
» Pour embellir ton existence
» Je travaillerai nuit et jour!...
» Va , l'on ne sent pas l'indigence
» Quand le cœur est brûlant d'amour, m
Touché de sa vive tendresse
Gustave la tient sur son cœur;
De son amant une caresse
Lui rend la vie et le bonheur.
Désormais il vivra près d'elle :
Plus de chagrin, plus de soupirs!
Redoublant d'ardeur et de zèle
Pour contenter tous ses désirs ,
Souvent , la nuit , quand il sommeille,
Caroline travaille et veille;
Si, parla fatigue, un moment
De ses mains tombe son ouvrage...
Elle regarde son amant ,
Et retrouve tout son courage.
Le temps passe; mais, en secret,
Gustave soupire... il s'ennuie;
Et ce nouveau genre de vie
Déjà l'attriste et lui déplaît.
Il regrette son opulence
Et tous les plaisirs de l'aisance ;
En y songeant, son cœur s'émeut.
CONTES EN VERS.
N'est pas philosophe qui veut!
L'amour de sa jeune maîtresse
N'est pas assez pour son bonheur.
Il veut lui cacher sa tristesse,
Mais elle sait lire en son cœur.
Elle devine sa soufi-rance
Et se dit : « Il n'est point heureux!
» Hélas! mon amour, ma constance,
» Ne suffisent pas à ses vœux. »
Gustave reçoit un message.
On lui propose un mariage
Qui peut l'enrichir tout à coup.
Une jolie et riche veuve
Trouve le jeune homme à son goût.
Pauvre Gustave , quelle épreuve!
Il cache avec soin cet écrit,
Mais soir et matin il le lit.
Pourra-t-il (piitter Caroline
Qu'il fut trop heureux de trouver!...
La pauvre enfant , qui se chagrine
De le voir si souvent rêver.
Désire en pénétrer la cause.
(ne nuit, pendant qu'il repobc,
Le billet vient frapper ses veux;
Lisant le projet qu'il renferme :
« Ah! » dit-elle, « qu'il soit heureux!
» i\ ses einiuis mêlions un terme,
» Il craint de déchirer iuon cœur...
» Il faut que je me sacrifie...
» J'en mourrai , mais pour son bonheur
U^
^20 CONTES EN VERS.
» Ne dois-je pas donner ma vie?... »
Dissimulant tout son chagrin,
Elle attend le jour en silence,
Brûlant déjà d'impatience
D'accomplir son secret dessein.
Le jour vient : elle sort soudain.
Depuis une heure elle est absente
Quand un Savoyard se présente
Porteur d'une lettre, qu'il dit
Devoir remettre à Caroline.
De ses mains arrachant l'écrit
Gustave, en tremblant, l'examine,
Puis , renvovant le messager,
Il cède au désir qui le presse;
Il lit... De sa jeune maîtresse
\jn autre amant ose exiger
Un rendez-vous... « Femme infidelle!
» Quand je craignais de l'affliger,
» C'est moi qui suis trahi par elle!... »
Dit Gustave. Dans ce moment
Caroline, d'un air timide.
Revient auprès de son amant.
Des noms de fausse, de perfide,
Gustave l'accable aussitôt ;
Elle ne répond pas un mot
Et cherche à lui cacher se^ larmes.
« Adieu, » dit-il; « à vos attraits
» Qu'un autre amant rende les armes,
» Moi, je vous quitte pour jamais! »
OOINTES EN VERS. iâi
Pour vivre au sein de l'opulence
Gustave a formé d'autres nœuds.
Caroline lésait heureux,
Elle supporte sa souffrance.
Mais ses larmes et sa pâleur
Trahissent sa peine cruelle;
In souvenir perce son cœur :
Hélas!... il la croit infidelle.
Déjà deux ans sont écoulés.
Gustave vit dans la mollesse ,
Et pourtant ses jours sont mêlés
Et de re^jrets et de tristesse.
Pour sa femme il n'a point d'amour;
Elle est jalouse, querelleuse.
Près d'elle, son Cd'ur, chaque jour,
Sonf^e à la petite brodeuse ,
Lorsqu'il devient veuf à son tour.
Maître d'une grande fortune
Et de Caroline occupé.
Il répète : « Elle m'a trompé! »
Kt C(; souvenir rinq.)ortunc.
l'njour, il trouve en son chemin
Le petit porteur de la lettre
Qui cause encor tout son chajjiin.
Pour de l'or il lui lait piomrttie
De lui dirp la vériJc;
L'enfant, avec naïveté,
JU'pond que l'écrit cacheté
Venait d'une femme jolie
122 CONTES EN VERS.
Qui pleurait en le lui donnant.
« Se pourrait-il ! O mon amie !
» Je devine tout maintenant... »
Et Gustave, dans son ivresse.
D'amour, de plaisir ravonnant ,
Court , vole aux pieds de sa maîtresse
En s'écriant : « Pardonne-moi
» D'avoir pu te croire infidelle !...
» — J'ai dû vous rendre votre foi,
» Soyez heureux, » lui répond-elle j
« A souffrir mon co'ur se résout...
» — La mort vient de briser ma chaîne,
» Pour jamais Famour me ramène
» Près de celle à qui je dois tout! »
On doit penser, à ce langage,
Si Caroline s'opposa ;
L'Amour forma leur mariage ,
Et près d'eux ce dieu se fixa.
Alors la petite brodeuse
Recouvra fraîcheur et beauté;
Chacun, en la voyant heureuse,
Dit : « Elle l'a bien mérité ! »
J
LE LIVRE DU DESTIIS.
De Jupiter, un jour, pour célébrer la fête ,
Les dieux vont donner un festin.
Dans l'Olympe déjà tout s'agite : on apprête
Un repas somptueux ; en l'honneur de Jupin
Chaque mets doit être divin.
On lui ménage des surprises ;
Chacun prétend offrir un plat de sa façon :
Pour les soulflés au riz Vulcain est en renom,
On sait que Jupiter aime les friandises;
Pomone doit lournir un dessert assorti ,
Thémis prépare des charlottes ,
Apollon tourne le rôti .
Bacchus porte le vin et Junon les compotes ;
L'Amour promet d'avoir des fruits;
Ksculape fait des coulis;
ÎNeptune offre un saumon ; Tlébé, mieux que personne,
Prétend faire des pets-de-nonne.
Au vieux Plutus il faut des cornichons ;
Pria[)e aura des écrevisses ;
F^rato doit offrir un potage aux croûtons;
Vénus se charge des épices ;
Mercure , enfin , plus gourmand que gourmet ,
\2A (.U.NTt,S E.N VLUS.
Descend chercher des homards chez Chevet.
Bref, tout est pour le mieux, riennemanqucau banquet.
Jupiter, très-sensible à cette politesse,
Se montre de fort belle humeur ;
Au repas chacun fait honneur :
On mange, on rit, on boit, on nargue la tristesse,
PuiS;, au dessert^ on chante son couplet.
Apollon accorde sa lyre.
Il improvise, et la fête l'inspire;
Euterpe l'accompagne avec son flageolet.
Tout en chantant on iiiit mainte folie ;
On trinque avec le jus divin ;
Et si souvent on sable l'ambroisie,
Que l'on va de travers à la fin du festin.
Mars et Vénus quittent la tabie,
Ils s'éclipsent sans être vus.
Auprès de Ganimède l ranus fait Taimable;
Minerve parie, on ne l'écoute plus.
Bacchus est tombé sous sa chaise ;
Priape et Junon sont d'accord ;
Thémis n'y voit plus clair, Flore est mal à son aisp;
Momus chante, Yulcain s'endort.
A ses voisins , Esculape s'acxroche ,
Mercure , quoiqu'il soit eu train ,
Par habitude , en quittant le festin ,
A mis son couvert dans sa poche.
» Oh ! oh! » dit Jupiter, c( je ferai bien , je croi ,
» De passer un moment chez moi ;
» Tout ce bruit me porte à la tète...
» (Test égal, on m'a fait une superbe létc !
)) Les mets étaientexquis... D'où viejitqiic pour marcher
i
CONTES EN VERS. 125
» Tout me tourne... Allons nous coucher...
» Étourdi que je suis, je laissais sur ma chaise
» Mon livre des destins que je veux consulter,
» Pour savoir si demain je dois bien me porter...
» Et s'il faut que le vent s'apaise.
» Je vais le mettre sous mon bras...
•1 De crainte d'accident, n'allons qu'au petit pas... »
Jupiter prend le livre et se remet en route.
Mais il tâtonne... il n'y voit goutte,
Et ne s'aperçoit pas, au milieu du chemin,
De la perte qu'il vienf, de faire :
Car, le grand livre du destin,
En glissant de son bras, est tombé sur la terre.
Tandis que, chez les dieux, on ne se doute guère
Du malheur qui vient d'arriver,
J3cvinez qui vient de trouver
Ce livre redoutable oîi l'avenir, d'avance,
A tracé des mortels la chétive existence?
De féroces bandits, voleurs de grands chcmin.s,
Ramassent dans un bois le livre des destins.
Attirés par sa couverture
Qui brille du plus vif éclat,
Le capitaine dit : « Vivat!
» C'est quelque plat d'or, je le jure,
)» Que l'on aura laissé tomber d'une voiture. >»
Mais quel est leur étonncment,
Quan<l, regardant plus attentivement.
Ils ne découvrent qu'un grand livre!
Le capitaine l'ouvn; et s'écrie aussitôt :
« VentrebU'u ! nous avons trouvé là le gros lot!
» Ce livre nousappr«'nd ertminf^nf nous devons vivre,
4:20 CONTES EN VERS.
» Il contient notre sort. » Les voleurs, sur ce mot,
Courent auprès du capitaine.
Tout homme est curieux de savoir son destin ,
Espérant n'y trouver que du plaisir sans peine.
« Un instant, » dit le chef, « il faut, dans ce bouquin,
» Qu'auparavant je cherche mes articles.
» Qui de vous tous me prête des besicles?
)•> Je lis si rarement que je n'y vois plus clair.
» — Tenez, » dit un voleur, « je n'aurai, capitaine,
» Que ce lorgnon volé d'hier,
» Et seulement à cause de la chaîne.
» — Donne-moi ton lorgnon. . . Il me va tout de go :
» C'est justement mon numéro. »
Le brigand feuillette, examine,
Il trouve enfin l'arrêt rendu ,
Et lit : Pour prix d'un nom>eau crime ,
Dans huit jours tu seras pendu.
<( La peste soit de l'ordonnance ! »
Dit le bandit avec fureur.
Après le chef, chaque voleur
De son destin veut prendre connaissance.
Mais bientôt tous en ont regret :
C'est toujours l'échafaud que le sort leur promet.
Chacun s'écrie : « Au diable la trouvaille!
» Ce livre-là ne contient rien qui vaille I
)) Il dégoûterait du métier I
» Il faut le vendre à l'usurier. »
Deux brigands aussitôt se rendent à la ville
Où , pour avoir un accès plus facile ,
En tous temps les voleurs, gens de précautions ,
CONTES EN VERS. iS!
Avec les usuriers ont des relations.
Chez l'un d'eux nos voleurs vont offrir le grand livre.
L'usurier dit : « Je n'en veux pas ;
» De Tesprit je fais peu de cas.
» — Ce livre vous apprendcomment vous devez vivre.
» — Parbleu ! je le sais bien , c'est avec de l'argent.
» On ne vend plus ni livre ni brochure.
» — Mais payez-nous au moins la couverture...
» Yous n'auriez pas cela sans un besoin urgent ! . . .
» — La couverture soit. — Voyez, c'est magnifique!
» — Oui, mais je lui crois peu de valeur numérique j
» Cela me fait l'effet d'un moiré métallique... »
Après avoir long-temps marchandé le destin,
L'usurier des voleurs l'a pour fort peu de chose.
Dès qu'ils sont éloignés, soudain
A feuilleter dedans notre homme se dispose,
En se disant : « J'ai fait un marché d'or!
>) Ce livre est vraiment un trésor!...
» Connaître l'avenir!... c'est l'art de la cabale,
» C'est la pierre philosophale!
» Heureux secret! Voyons d'abord
» Ce que me réserve le sort. »
Et l'usurier, cédant à l'humaine faiblesse.
Sur le livre clierche son nom :
Il parcourt à la hâte... il dévore... il se presse...
Et trouve enfin : Tu mourras en prison.
i> En prison! non morbleu! quelediablet'emporte!»)
Dit l'usurier, que la frayeur transporte.
<( Ce livre-là ne contient rien de bonj
)> Je gage qu'il est faux. Tâchons de le revendre,
M En disant, cependant, qu'il ne trompe jamais.
^28 COîîTES EN VERS.
» Le seigneur, moiivoisin, pourra, je crois, le prendre.
» Pourvu que je fasse mes frais
» C'est tout ce que je veux. C'est vingt francs qu'il me coûte
» Pour mille , en le donnant , je me montre obligeant ,
» Et je rentre dans mon argent. »
Sur ce, le juif se met en route,
Sous sa vieille pelisse il cache le destin,
Et, certes, personne, en chemin,
jNe devine que son sort passe.
Près du seigneur il est admis.
(( Monseigneur , excusez , de grâce , »
Dit l'usurier , « si je me suis permis
» De venir devant vous ; mais j'ai là quelque chose
» De précieux ; vous êtes amateur ,
» J'ai cru devoir l'offrir à votre honneur.
» C'est du rare , du beau , c'est dans le grandiose !
» — Yovons, drôle, coquin, montre-moi cet objet.
» C'est quelque vieille friperie.
» — Ah ! Monseigneur , vous allez , je parie,
» Être enchanté ; vous saurez le secret
» De l'univers... C'est vraiment impayable.
» C'est la chose unique, introuvable,
» Qu'un hasard seul fait tomber dans mes mainsj
» Enfin, le livre des destins.
» — Je crois que ce Ixipon veut rire...
» — INon, Monseigneur, voyez, son seul aspect
w Nous éblouit, nous frappe de respect.
» — Et ià-dedaus, tu dis que l'on peut lire
» Ce qui doit arriver? — Pas un fait n'est omis!
» — Et combien en veux-tu.'' — Mille francs; je vousjure.
CONTES EN VERS. -129
» Que c'est là ce que j'ai payé la couverture ;
» Car, pour le reste , c'est sans prix. »
Le marché se conclut. L'usurier se retire
En se frottant les mains, a Parbleu, » dit le seigneur,
« Je vais me marier, c'est le cas de m'instruire;
» D'avance de mon sort savourons la douceur.
» Ma future m'adore; elle est jolie, aimable;
» Je suis riche, bien fait, d'un physique agréable,
» Et l'avenir ne doit m'annoncer que bonheur. »
Dans le grand livre il cherche avec courage;
D'y trouver le bonheur étant bien convaincu.
Il lit enfin : Après six mois de mariage
Ta femme te fera cocu.
« Oracle impertinent ! » dit-il avec colère,
Jetant d'un coup de pied le livre loin de lui ,
« Qu'on coure après ce juif; il faut dès aujourd'hui
» Que cent coups de bâton deviennent son salaire ;
» Et vous, laquais , allez soudain,
» Me mettre dans le feu ce livre du destin. »
Les valets emportent le livre ;
Mais l'un d'eux , en le regardant,
Dit : « INotre maître nous le livre;
» Au lieu de le brûler, on peut en le vendant ,
» En tirer encor quelque chose. »>
Un charlatan passait : le laquais lui propose
De l'acheter; lui cédant le destin
Pour une bouteille de vin.
Le charlatan, charmé de son emplette,
Se dit : « Tous ces gens-là ne sont qu*^ i\v^> nijjauds;
» Quant à moi, ma fortune est faite.»
>
■130 CONTES EN VERS.
Avec une trompette, attirant les badauds,
Notre homme annonce à la foule étonnée
Qu'il prédit l'avenir; que, par son art divin
On peut du soir au lendemain
Etre au fait de sa destinée.
Chacun court chez le charlatan.
Bientôt, grâce à son talisman.
Il fait une fortune immense.
Il dit la vérité , ne se trompe jamais j
Par sa voix , du destin on entend les arrêts.
Mais qu'en arrive-t-il? D'une telle science
On s'étonne, on s'effraie; on dit : C'est un sorcier.
Un homme qui sait tout , est un suppôt du diable ;
Ce n'est donc plus qu'un misérable
Qu'il faut punir de son métier.
Le charlatan , dans de vives alarmes ,
Se sauve, en emportant le destin sous son bras.
Maisle destin est lourd, et sur ses pas
Notre homme croit toujours entendre les gendarmes.
Chez un vieillard , dans le fond d'un hameau ,
Il se décide à laisser le gros livre.
« Sans lui, dit-il, j'ai de quoi vivre;
)) Tenez, bonhomme, acceptez ce cadeau.
» C'est le destin que je vous laisse,
» C'est un livre fort précieux !
» Mais je vais loin ; le temps me presse ,
» Et le garder me semble dangereux. »
Le charlatan est loin. Pendant que sur la terre
CONTES EN VERS. -13:1
S'est passé cet événement ,
Retournons chez les dieux. Tout est en mouvement
Auprès du maître du tonnerre :
Le lendemain du jour où l'on a riboté ,
Jupiter cherche son grand livre.
« Morbleu! » dit-il^ « je l'avais emporté;
» Il ne se trouve plus : comment allons-nous vivre ?
» Du diable si je sais quelle marche il faut suivre !
» Allons, Mercure , eh ! vite , holà !
» Il me faut mon destin ; il m'est fort nécessaire.
>) Tu vas te rendre sur la terre.
» Il aura roulé jusque-là.
» Pour le ravoir , montre ton savoir-faire,
)) Promets beaucoup ; ensuite nous verrons
» Si, sur le livre, il est écrit que nous tiendrons. »
Mercure part ; il court le monde.
Après avoir cherché de toute part ,
Dans une retraite profonde
Il trouve le destin chez un pauvre vieillard.
« Rendez-moi ce livre, mon père, »
DitMercureau bon solitaire
Qui reposait sur un banc étendu.
« Il appartient aux dieux ; et, s'il vous est connu ,
» Vous savez que du sort il contient le langage. »
(( Ah! » dit en souriant le sage,
« Prenez-le , je ne l'ai pas lu !.. .
» — Quoi, vraiment... pas même une page?
» — Si dans ce livre je lisais ,
» M'auriez-vous vu dormir en paix ?
» — Que voulez- vous que je vous donne
» E^n échange de sa valeur?
-132 CONTES EN VERS.
» — Rien. — Quoi! rien?... — ?îon;, c'est de bon cœur,
» Seigneur, que je vous l'abandonne.
» Avoir le don de l'avenir,
» Pour les mortels serait un art funeste I
» Jouissons du présent; gardons le souvenir
» Qui nous rappelle un moment de plaisir;
n Fermons les yeux sur tout le reste !
» Voilà, je crois , le moyen d'être heureux.
» — Vous êtes sage. — Je suis vieux ,
» Et ce livre à mes yeux ne vaut pas une obole!
» Avec votre destin, retournez vers les cieux. «
Le vieillard se rendort, et Mercure s'envole.
FIN DES CONTES EN VERS.
CHANSONS.
LA
BULLE DE SAVON.
CHANSON -PRÉFACE.
Air du vaudeville de l'Intrigue a la hussarde.
De gais enfaiis du vaudeville ,
Dont les refrains sont répandus ,
Ont jadis lancé par la ville
Ballons d'essai, ballons perdus;
Pour moi , ce serait trop de chose
D'avoir à gonfler un ballon ,
Et ce n'est qu'en tremblant que j'ose
Souffler ma bulle de savon.
Cette bulle dans un concile
ÎNe fut pas un droit discuté,
La morale en est très-facile.
Elle a pour dogme la gaité;
Jadis quelques bulles sur terre
Ont mis de la division ,
Mais on n'allume [)oint la guerre
Avec des bulles de savon.
"156 LA BULLE DE SAVON.
Ma chère bulle, je feu prie,
Dirige-toi du bon côté;
Reprends une nouvelle vie
Dans le souffle de la beauté;
Mais dans les airs où je le lance,
Si tu ne fuis pas l'aquilon ,
C'en est fait de ton existence!
Adieu , ma bulle de savon !
LA BILLE DE SAVON. -137
JE N'EN SUIS PLUS
A MOy PREMIER AMOUR.
Ain ' J'ciilciui» au loin l'aiclicl île U Folio.
O toi qui fus ma première maitresse ,
Chère Suzon , que je te trouvais bien!
Il m'en souvient, je t'admirais sans cesse;
A mon avis il ne te manquait rien.
J'ai vu, depuis, beaucoup de belles femmes!
Mais maintenant, en leur Faisant la cour,
Je vois fort bien ce qui manque à ces dames...
Je n'en suis plus à mon premier amour. (ùis.'^
Pourtant Suzon était un peu petite;
Moi je disais : « Elle en sautera mieux. »
Son nez était tait en pied de marmite;
Je le trouvais malin comme ses yeux.
D'une maîtresse, à présent, je détaille
Les traits, les pieds, jusqu'au moindre contour;
Jr vois bien vite un défaut dans sa laille...
Je n'en suis plus à mon premier amour.
Suzon Korlait avec une cornette,
Jupe de toile, et fichu de Madra.*^,
Ceintme en cuir compl«Mait sa toilette,
Et j'étais fier de lui donner le bras.
-158 LA BULLE DE SAVON.
Si, maintenant, celle que je promène
N'est pas coiffée et mise au goût du jour,
Je suis maussade, et je lui parle à peine...
Je n'en suis plus à mon premier amour.
Chez un traiteur modeste et solitaire
J'allais souvent dîner avez Suzon ;
On nous servait un frugal ordinaire j
J'étais près d'elle , et tout me semblait bon ;
Avec ma belle, aujourd'hui, quand je dîne,
Je veux bons vins et bons mets tour à tour;
Un plat manqué me fait faire la mine :
Je n'en suis plus à mon premier amour.
Près de Suzon on me voyait encore
De ma tendresse empressé de causer,
Six fois par jour lui dire je t'adore.
Et puis toujours prêt à recommencer;
AJais, à présent, pour peindre mon délire.
J'ai beau vouloir faire le troubadour,
Après deux mots, je n'ai plus rien à dire!
Je n'en suis plus à mon premier amour.
LA GLOIRE ET LA FORTUNE,
ou LE RÊVE d'un PAUVRE DL\BLE.
Air de la Boulangère.
Une nuit, le diable m'offrit
La gloire et la fortune ,
LA BULLE DE SAVON. ^39
Me disant : « Le sort te sourit,
» Choisis, mais n'en prends qu'une. »
La gloire était fort de mon goût,
Mais j'aimais la fortune
Beaucoup,
Oui, j'aimais la fortune.
Je dis au diable : « Eclaire-moi :
» La gloire est moins commune;
» Mais je voudrais , de bonne foi ,
» Un bonheur sans lacune. »
Le diable alors me dit tout haut :
u Choisis donc la fortune,
» iSigaud,
» Choisis donc la fortune. »
(' Mais je voudrais être cité
M De Rome à Pampelune,
» Par tous nos poètes chanté ,
» Et plutôt deux fois qu'une. »
Le diabl«; alors me répondit :
« On trouve à la fortune
» L'esprit,
H Choisis donc la fortune. »
Je dis au diable : '« J'aime encor
» Et la blonde et la brune ;
» La gloire vaut-elle bien l'or
» Pour séduire chacune? n
■iM) LA bLLLK DE SAVON.
n INon, » me repondit le démon ,
« Prends plutôt la fortune ;,
» l^Yipoii,
>* Prends plutôt la fortune. »
« Mais, » repris-je, «j'avais pour but
» La scène ou la tribune :
» Puis, j'arrivais à l'Institut
» Sans clameur importune.
» Eh bien ! » répondit Lucifer,
« Prends toujours la fortune,
» Mon cher,
» Prends toujours la fortune. »
En m'écriant : » Je te choisis,
» Séduisante fortune, »
Je m'éveillai,, mais je ne vis
Qu'un fort beau clair de lune ;
Et j'attendrai lon{j;-temps, je croi,
La gloire et la fortune
(]hez moi ,
La gloire et la fortune.
ENCORE UN ^U)ME^'T
Air "a faire.
« Quittons-nous, mon ami, » dit la tendre I disette ,
M C'est dcniain qu'à l'autel je reçois ton serment ;
LA BULLE DE SAVON. ii\
» — Oui , mais avant demain, chère Lise, en cachette,
» INepouvons-nouscausertousdeuxdanstachambrette
)) Reste encore un moment. »
Le grand jour est venu : Lise, encor pkis jolie,
A l'autel a reçu la main de son amant ;
Le soir, il veut du bal emmener son amie ,
Mais Lise, qui rougit, lui dit : « Je t'en supplie,
» Reste encore un moment, w
Dans les bras de l'hymen bientôt l'amour sommeille;
Le mari, le matin, s'échappe promptement.
Vainement Lise, alors, qui soupire et s'éveille.
Cherche à le retenir, et lui dit à l'oreille :
« Reste encore un moment. »
L\ FOSSETTE.
Ain : Ma Taiilo (Jrlurctle.
De la belle qui nous plaît
>ous célébrons chaque trait :
Je cliente de ma brunette
La fossette {bis,)
Que j'aime en Lisette.
Que de dames du grand ton
Voudraient avoir au menton
Cette marque si bien faite
443 LA BULLE DE SAVON.
En fossette ,
Comme ma Lisette î
Ce petit trou séduisant,
Lui donne un air agaçant ;
On lorgne de la coquette
La fossette ,
Charme de Lisette.
Chaque femme a des cheveux,
Un nez, des dents et des yeux ,
Mais je vois mainte fillette
Sans fossette,
Comme ma Lisette.
On peut farder ses appas ,
Grossir ses jambes, ses bras.
Mais on ne peut faire emplette
De fossette ,
Comme ma Lisette.
Auprès d'un minois joli ,
Je serai toujours poli.
Mais qui me met en goguette ?
La fossette
Que j'aime en Lisette.
Quel est ce charmant endroit
Où l'on peut mettre le doigt,
Et faire un nid d'amourette?
La fossette
Que j'aime en Lisette.
LA BULLE DE SAVON. M3
Devant un si joli trou ,
Moi^ je fléchis le genou,
Prêt à baiser en cachette
La fossette
Que j'aime en Lisette.
O ma belle, si tu veux
Que je sois toujours heureux ,
A d'autres jamais ne prête
Ta fossette,
Ma chère Lisette.
SUR LA MORT DU PEINTRE DAVID.
Air : T'en souviens-m ? disait un capitaine.
Du INorfl ici quel bruit vient se répandre ?
Vaine douleur ! 6 regrets superflus !
Dans le tombeau David vient de descendre ;
Un grand artiste, un grand peintre n'est plus.
Mais j'aperçois au temple de mémoire
La renommée inscrivant ses succès ,
Tracer ces mots, que répète la gloire :
(( Ton nom , David , ne périra jamais, n
Toi , qui créas Briilus , les Themwpyles ^
Dont pour modèle on prendra les tableaux,
Vois, ici-bàs , tes élèves dociles.
Vers le vrai beau diriger leurs pinceaux ;
4M l'A BULLE DK SAVON.
Entends leurs voix , ils couronnent ta tête.
C'est de lauriers et non pas de cyprès ,
Car chacun d'eux en te pleurant répète :
(( Ton nom , David , ne périra jamais. »
Si dans l'exil tu finis ta carrière,
Si l'étranger fut plus heureux que nous,
A ta patrie, en fermant ta paupière.
Ton cœur donnait un dernier rendez-vous.
Ah! ne crains pas qu'un jour elle t'oublie!
Par le talent tu fus toujours Français ;
L'artiste meurt , mais non pas son génie.
(( Ton nom, David, ne périra jamais. »
LA PROMENADE A ANE.
Chansonnette historique qui fera voir aux demoiselles les dangers
que court l'innocence en allant au galop.
Air : Quand Vénus sortit de l'onde.
C'est au bois de Romainville
Qu'un séducteur trop habile
Par une grande chaleur,
Devint maître de mon cœur.
11 se peut qu'on me condamne;
J*en conviens de bonne foi .
Je voulus avoir un âne ,
Auguste vint avec moi. (A«.)
LA BULLE DE SAVON. AAo
•*■ i
Nous vîmes dans la campagne
Un baudet et sa compagne.
Sur l'ânesse mon amant
S'enfourcha très-lestemenî ;
Puis Auguste, avec malice,
M'offrit !e gros asinus ;
Moi, jV'tais simple et novice,
Et je me campai dessus.
Auguste avec sa bourrique.
Qu'il pousse, fouette et pique,
Caracole autour de moi
Sans montrer aucun effroi;
Tout en trottant , il me glisse
Un aveu tendre et charmant!...
Ah Dieu ! comme l'exercice
Nous prépare au .sentiment!
Je lire de gauche à droite,
Mais dans une route étroite
Mon âne va se fourrer.
Il veut toujours se cabrer.
Je vais être la plus forte;
L'ânesse vient à crier.
Zeste, mon âne m'emporte
Auprès de mon cavalier.
Dans cette course rapide,
Ma main a lâché' la bride;
En sautant sur mon baudet.
Le vent m'Aie mon bonnet ;
<o
-i/iG LA BULLE DE SAVON.
Vainement je illë rajuste,
Je glisse sur le gazon...
Et je tombe près d'Auguste,
La tête sous mon jupon.
Sans songer à ma monture ,
Profitant de l'aventure,
Mon amant, à mes côtés,
Veut prendre... des libertés;
Il m'embrasse , je me damne I
Il me conte ses amours.
Je crie : « Arrêtez donc l'âne ! »
Mais le ti-aître va toujours.
Quand je retrouvai ma tête.
Devant moi je vis ma bête ;
Mais mon âne était changé :
Il paraissait corrigé ;
Pour revenir, moins timide ,
Je voulus monter dessus ,
Et je lui lâchai la bride...
Mais il ne se cabra plus.
LA BULLE DE SAVON. A
'ï^
LES DEUX VOYAGEURS.
1 \.
Ain : A voyager passant sa vie , ou Air nouveau de M. H. Berton.
Dans la carrière de la vie
Jetés tous deux par le destin ,
L'amitié de l'amour suivie
Se trouvent un jour en chemin.
Vers le plaisir chacun voyage ,
Se donnant parole au retour.
Car de l'amitié c'est l'usage
D'aller moins vite que l'amour.
En folâtrant l'amour avance,
Il aime a voyager sans frein ;
L'amitié marche avec prudence,
Et sond»' d'abord le terrain ;
Fuyant toute route nouvelle,
Lorsque l'autre prend un détour,
L'amitié jamais ne chancelle ,
Souvent le pied glisse à l'amour.
Sur sa route le dieu de Gnide
Fait parfois répandre des pleurs :
Suivant le penchant qui le guide,
Il cueilh' les plus belles fleurs ;
■148 LA iîullî: de savon.
Au (jré de son huincur bizarre,
A cliacLin il fait quelque tour j
Mais l'amitié vient , et répare
Les fautes que commet l'amour.
Le premier, le vola^je arrive
Au but, objet de son désir j
L'amitié, toujours plus tardive,
Ne vient qu'après chez le plaisir.
Elle y cherche le téméraire,
Mais il n'était resté qu'un jour :
Le plaisir avait eu beau faire,
. Il n'avait pu fixer l'amour.
DEPUIS QUE JE INE TE VOIS PLUS.
Aii! (lu \aii(lcvi11(' (le P^vcIh' , on Air nouveau de M. Voizcl.
(j'en est donc fait, ma Virginie,
Pour jamais tu veux me quitter j
Ce qui m'étonne, mon amie,
C'est de souvent te regretter.
Quand tu me prouvais ta tendresse ,
Tes soins étaient fort mal reçus;
Mais je voudrais te voir sans cesse...
Depuis que je lic te vois plus.
Cliaque jour, avec indolence,
Auprès de toi je me trouvais;
LA BULLE DE SAVON. i^O
Mes yeux avec indifférence
Voyaient tes grâces, tes attraits;
Aujourd'hui je leur rends les armes ;
Mes sens d'y penser sont émus ! . . .
Et je vois en toi mille cliarmes !...
Depuis que je ne te vois plus!
Lorsque nous causions ;, il me semble
Que je te trouvais peu d'esprit;
Et nous passions une heure ensemble
Parfois sans nous être rien dit :
A présent , combien je soupire
Après tous ces momens perdus ! . . .
J'ai mille choses à te dire
Depuis que je ne te vois plus.
Souvent tu me disais : « Je t'aime ! »>
Et cela me touchait fort peu;
Mon cœur, je te Tavoûrai même ,
Répondait mal à cet aveu.
Maintenant quel feu me dévore !
Tous mes désirs sont revenus!...
Enfin je sens que je t'adore
Depuis que je ne te vois plus.
^50 LA BULLE DE SAVON.
L'HOMME SANS SOUCIS.
Aiii du vaudeville de rAciricc.
Le hasard , de mon existence
A presque toujours fait les frais :
Le hasard me donna naissance ,
Et même d'assez jolis traits;
D'une heureuse philosophie
Ayant aussi ma bonne part ,
Pour passer plus gaîment ma vie,
Moi , je compte sur le hasard.
Le hasard donne la fortune ,
Quelquefois même les grandeurs;
Chassant toute crainte importune,
Moi, j'attends en paix ses faveurs;
Souvent le talent, le mérite,
Obtiennent à peine un regard.
Si les sots parviennent plus vite,
C'est que Ton doit tout au hasard.
Qu^un homme vante près des dames
Son respect, sa fidélité;
Qu'un autre maudisse des femmes ,
Les ruses , la légèreté ;
LA BULLE DE SAVON. \^
Moi , je ne fais près d'une belle,
Ni le Caton , ni le cafard ;
Pour en trouver une fidèle,
J'en aime plusieurs au hasard.
Si j'épouse femme gentille ,
Au hasard je la choisirai;
Pour être père de famille,
Au hasard je m'en remettrai.
Je sais bien que de ma carrière
Le terme viendra tôt ou tard *
Mais jusqu'à la fin on espère
Quand on s'abandonne au hasard.
LE DROIT DU CHÀTELAI>; DE BÉTHIZY,
CHANSONNETTE HISTORIQUE.
Ain du Ballet des Pierrou.
Dans le bon vieux temps, maint usage
Attestait les droits du seigneur;
Droits «le cuissage et de jambage
Ktaient alors fort en vigueur.
Parmi ces usages très-drôles,
Ecoutez un peu celui-ci ,
Que j'ai trouvé sur les contrôles
Du châtelain de I^'thizy.
i5â LA JjULLE de savon.
Lorsque passait dans son domaine
De ces filles au doux minois ,
Que le plaisir souvent entraîne,
Qui de l'amour suivent les lois ,
Il fallait qu'alors la petite
Allât, sans marquer nul souci ,
Payer quatre deniers, bien vile,
Au châtelain de Béthizy.
Quatre deniers! allez- vous dire,
Ce n'est là qu'un droit fort petit ;
Pour moi , je trouve que le sire
Devait en tirer grand profit;
Songez donc que toute amourette
Etant par là taxée aussi ,
On enflait souvent la cassette
Du châtelain de Béthizy. '^^ ^"^^
De crainte que par quelques belles
L'usage ne fût oublié,
Le seigneur guettait toutes celles
Qui n'avaient pas encor payé.
Surveillant chaque tête-à-tête,
Que de choses il vit ainsi !...
Il n'était vraiment pas si bête
Le châtelain de Béthizy !
Chez nous si l'on voyait les filles
Pour un faux p^s payer encor,
Nos Françaises sont si gentilles,
Qu'elles grossiraient le trésor;
LA BULLE DE SAVON. 153
Pour moi, content de mon salaire,
Je serais riche, Dieu merci !
Si, dans Paris, je pouvais l'aire
Le châtelain de Béthizy.
UIN BAISER DC MO?i FILS.
Air : Musc des bois.
Lorsque j'étais au printemps de ma vie,
Et que l'amour remplissait seul mon cuur,
Tendres faveurs d'une femme jolie
Etaient pour moi le suprême bonheur.
Ah ! j'ignorais qu'il fût dans la nature
In sentiment [)lus parfait, plus exquis;
Mais j'ai connu l'ivresse la plus pure
En recevant un baiser de mon (ils.
Encor dans l'âge et d'aimer et de plaire,
Déjà mon fds m'occupe conslamment.
Et, je le .sens, le bonheur d'rlre pr-n*
Est bien plus doux que celui d'être amant.
On est parfois trompé par sps maîtresses,
Soi-même on manque h c<* «ju'on a proini.s ;
Mais nul soupçon ne sr mêle aux caresses
En recevant un baiser de son fils.
-154 LA BULLE DE SAVON.
Vous que je vois au sein de l'opulence,
Pour des grandeurs vous agiter encor,
Malgré votre or, malgré votre puissance.
Je ne saurais envier votre sort.
Vrais courtisans, chaque jour on vous trouve
De vains honneurs, de titres plus épris!
Connaissez-vous le bonheur qu'on éprouve
En recevant un baiser de son fils ?
En vieillissant nous ne sentons plus naître
Ce feu brûlant que Ton appelle amour ;
Ce feu plus doux, qu'un fils nous fait connaître,
Dans notre cœur s'augmente chaque jour ;
Les cheveux blancs, s'ils éloignent les belles,
Rendent pour nous nos enfans plus soumis ;
Et songe-t-on que le temps a des ailes
En recevant un baiser de son fils ?
Jouets du sort, par un revers funeste,
En un instant il détruit nos projets;
Qu'il m'ôte tout, mais que mon fils me reste.
Sans murmurer j'attendrai ses décrets^
Tranquille alors à mon heure dernière.
Je ine dirai près de lui je finis.
Heureux encor de fermer ma paupière
En recevant un baiser de mon fils!
LA BULLE DE SAVON. \0^
LE CHEVALIER ERRAÎNT.
Air connu de M. !Mcngat.
Dans un vieux château de l'Andalousie ,
Au temps où l'amour se montrait constant,
Où beauté, valeur et galanterie
Guidaient au combat un fidèle amant ,
Un preux chevalier un soir se présente ,
Visière levée et la lance en main ,
Il vient demander si'sa douce amante
N'est pas, par hasard, chez le cliâtelain.
<( Noble clievalier, quelle est votre amie? »
Demande à son tour (e vieux châtelain.
(( — Ah ! des fleurs d'amour c'est la plus jolie 1
» Elle a teint de rose et peau de satin ;
» Elle a de beaux veux, dont le doux langage
w Porte en notre cœur plaisirs et tourmens!
)) Elle a tout enfin , elle est belle et sage.
)) — Pauvre clievalier, chorrlierez long-temps.
» — Depuis qu'ai perdu cette noble dame,
)) N'ai plus de rfpos, n'ai plus de plaisirs!
» En chaque pnvs , guidé par ma flamme,
» Vais cherchant Tobjet de tous mes désirs;
» Des Gaules j'ai vu les plaines fleuries ,
» Du Nord parcouru lo climat lointain !
I9é
LA IjULLE Dli SAVON.
)) J'ai trouvé partout des femmes jolies;
» Mais fidèle amie, hélas ! clierche en vain.
)) Guidez de mes pas la marche incertaine;
)) Verrai-je en tous lieux mes désirs déçus?
» — Mon fils , votre sort , hélas I me fait peine,
» Ce que vous cherchez ne se trouve plus ;
)) Poursuivez pourtant votre lon^j voyaj^e ,
)) Et, si rencontrez un pareil trésor,
» Ne le perdez plus; adieu , bon courage. »
L'amant repartit, mais il cherche encor.
ELLE ETAIT SI JOLIE.
AïK : tUc avait tout pour plaire. yI
J'ai perdu le cœur de Zélie;
D'un autre elle écoute les vœux.
En rompant le nœud qui nous lie ,
Je brûle encor des mêmes feux...
Elle était si jolie.
Par ses travers même embellie.
Elle unissait pour nous charmer
L'esprit, la grâce à la folie;
Pouvait-on la voir sans laimcr?
Elle était si jolie!
Quand son abandon m'humilie ,
Quand elle trahit nos amours ,
LA EULLE DE SAVOX. 15/
Je sens qu'il faut que je l'oublie ,
Et pourtant j'y pense toujours... >
Elle était si jolie! -,
Mais trouve-t-on femme accomplie?
Une autre me trompera mieux !
Autant valait garder Zélie ,
L'adorer et fermer les yeux...
Elle était si jolie!
PROFESSION DE FOI
D T' \ A :\I A T F. l' K D V V. F. A U S FX F .
Am : J'ons un cur»? patriclc.
J'entends dire à mainte dame
Que le cœur ne fait qu'un clioix ,
Que d'une sincère flamme
Il ne brûle qu'une fois ;
l*ar de beaux yeux enjnlé
Mon cœur a souvent brûlé ,
Et toujours ,
Oui, toujours,
Comme à mes premiers amours ,
Tout comme à mes premiers amours.
r>rûle-t-on d'amour extrême ,
On croit qu'il n'a point d'éjfai ;
■158 LA BULLE DE SAVON.
Mais toutes les fois qu'on aime,
On n'en aime pas plus mal.
J'ai cent fois changé d'objet,
Et, chaque fois qu'on me plaît,
C'est toujours,
Oui , toujours.
Comme à mes premiers amours.
Tout comme h mes premiers amours.
Doux charme , bonheur suprême
Oue me fit eoùter Jennv !
*-' <J w
Mon cœur t'éprouva de mcme
Dès que je connus Fanny ;
Quand je vis Eléonor,
Je te ressentis encor,
Et toujours ,
Oui, toujours,
Comme à mes premiers amours.
Tout comme à mes premiers amours.
On dit qu'on aime sans cesse
L'objet de ses premiers feux ;
Moi, ma dernière maîtresse
Me semble toujours la mieux.
Tant que d'un autre tendron
Je n'ai pas vu l'œil fripon ,
C'est toujours,
Oui, toujours.
Comme à mes premiers amours ,
Tout comme à mes premiers amours.
LA BULLE DE SAVON.
iÉ
De Chloé , charmante blonde ,
J'aimais les jolis cheveux ;
De Zoé la mine ronde,
De Rose l'air langoureux;
Je leur ai fait le serment
De les aimer tendrement ,
Et toujours,
Oui, toujours,
Comme à mes premiers amours ,
Tout comme à mes premiers amours.
Pourquoi n'aimer qu'une belle,
Puisqu'elles ont mille appas ?
^.u bordeaux est-on fidèle
Dans un excellent repas ?
Beaune, chambertin, pomard.
Tous nous semblent du nectar!
C'est toujours,
Oui, toujours,
Comme nos premiers amours.
Tout connne nos premiers amours.
C'est un banquet que la vie :
Amis, pour qu'il soit joyeux,
Il faut que l'on y convie
Jeunes fennnes et vins vieux.
Mais ayons de quoi choisir,
Cela fait que le plaisir
Est toujours ,
Oui , toujours ,
(Jomme à nos premiers amours,
Tout comme à nos premiers amours.
^60 LA BULLE DE SAVON.
LES DÉSIRS
d'un amant... d'autrefois.
=ï^^=fF
Air à faire.
Viens , 6 mon Isaure ,
Viens près du torrent ,
Qu'à peine colore
Un soleil mourant.
Une onde légère
Mouille ces roseaux ;
Tu trembles , ma chère ^
Au bruit de ces eaux ;
Cet endroit est sombre :
Mais qu'importe l'ombre ?
Pour parler d'amour
Clierclie-t-on le jour ?
Viens, 6 mon Isaure,
Viens sous ce rocher,
Où nul être encore
IN'a su nous chercher ;
De ce lieu sauvage
Tu crains la fraîcheur,
Reste davantage
Tout contre mon cœur.
Cet endroit est sombre ,
Mais qu'importe l'ombre?
LA BULLE DE SAVON. iGi
Pour parler d^amour
Cherche-t-on le jour?
Viens , ô mon Isaure ,
Viens dans la forêt,
Tout le monde ignore
Ce sentier secret.
Cette herbe fleurie
Par ton pied mignon
Doit être flétrie j
Viens sur ce gazon -,
Cet endroit est sombre,
Mais qu'iipporte l'ombre ?
Pour parler d'amour
Clierche-t-on le jour?
O ma chère Isaure !
Désirs superflus ;
Ce cœur qui t'adore
Voudrait encor plus :
Une grotte obscure
Où tu m'aimerais ,
Ln lit de verdure
Où lu dormirais ;
Et toute la vie
Pouvoir, mon amie.
Te parler d'amour
La nuit et lojour.
»»
i62 LA BULLE DE SAVON.
CADET BLTEUX
AU JARDIN TURC.
POT-POLRRL
Air de Préville et de Taconnet.
Avec Manon , par un' belle soirée ,
Je nous disons : « Il faut prendre le frais ;
» J'trouv' rons partout du café d' chicorée,
« Dirigeons-nous vers le Marais. (bis.)
» Au jardin Turc, lui dis-je, il faut nous rendre j
» Mets r casaquin, via l'habit qu' j'ai risque,
» Pour entrer là, c'est qu'faut être musqué !
)) J' nous régal'rons : on dit qu'on peut y prendre
» Ben des objets , dont 1' prix n'est pas marqué. »
Am : M. de Catinal.
AlorSj bras d'sus bras d'sous, je prenons notre élan ;
Et j' tombons à la port' du jardin du Sultan ;
L' vétéran dit qu' INanona z'un fichu d' couleur,
Là-d'sus, moi , jem'avance , et je lui chante en majeur :
Air : Une robe légère.
« Ce fichu, mon p'tit homme,
» Suffît à ma INanon,
» Et pour avoir la pomme ,
» Je dis qu'elle a 1' pompon !
LA BULLE DE SAVON. ^65
» A rOpéra-Comique
» Tu n'as donc pas été ?
» Apprends que le physique
» Embellit la beauté.
Air du Galoubet.
» jNous somm's dedans , (bis.)
>» Ma fine , ce n'es pas sans peine ,
» Il a fallu montrer les dents;
)) Reprenons un peu notre haleine,
» Nanon est heureus' comme une reine ! . . .
M Noussomm's dedans. » (bis.)
A]R : Dans les ç^dcs françaises.
J' voyons une terrasse
Où sont des gens bien mis,
J' voyons du mond'qui passe,
J'en voyons qu'est assis ;
Puis des cadets Eustaches
D' nous pousser trouv' moyen ,
En criant : gar' les taches !
Quand ils ne portent rien.
Ain ( .'■ moiii linir. lu Ile Rnvmondc.
Mais, malSanon, (ju aime l'ombre,
Dans un p'tit chemin giiid'mes pas ;
Là, j' voyons, quoiqu il lass' sombre.
Plus d'un couple s' parler bas ;
Nanon s'arrête, j' la gronde ,
El j' lui dis , d'vant cha(ju' bosquet :
-iQU LA BULLE DE SAVON.
(( Ne dérangeons pas le monde ,
)) Laissons chacun comme il est. »
Air de TEru de six francs.
rVanon , qui fait tout c' qu'ell' voit faire ,
S'écrie aussitôt : « J' veux m'asseoir. »
Je lui dis : « Voilà notre affaire ,
» Entrons dans ce bosquet tout noir. « (bis.)
Là , sur ce qui lui fait envie
J' dis à Nanon de réfléchir ,
EU' m' répond : « Pour nous rafraîchir
» Prenons du punch à l'eau-de-vie. »
Am : Encore un quarlron, Claudine.
Le punch flamb' , moi , j'espère
Prendre un baiser , morbleu !
Et j' dis à la p'tit'mère,
Qui me résiste un peu :
« On n'y voit qu' du feu,
» ]\Ia clière ,
» On n'y voit qu'du feu. »>
Air de la Petite sœur.
A côté d' nous , dans chaqu' bosquet ,
Quoiqu'il ne brillât nulle flamme , {bis.)
J'aperçùmes, grâce au quinquet.
Lu monsieur brider pour un' dame ;
Ils causaient de leurs sentimens,
Ça les altérait, je suppose,
Car ces messieurs , à tous nioraens,
Prétendiiient prendre quelque chose. (bis.)
LA BULLE DE SAVON. '1 65
AiH : Signora Povera( du Concerta la Cour ).
Mais à droite, on disait , à not' oreille,
K Voulez- vous
» M'accorder un rendez-vous ? »
>* — Ah! ah! ah ! ah!... ah ! ah ! ah! ah!
» — Je n'éprouvai jamais ardeur pareille !
» Acceptez une glace , une groseille...
)) — Ah! ah! ah! ah!... ah! ah! ah! ah! »
Même air.
\'là qu'à gauch', l'homme dit à la bourgeoise,
« Voulez-vous
» Des cach'niir's et des bijoux ?
)) — Ah! ah ! ah ! ah!... ah! ah! ah! ah!
» — Vous vous taisez.... goûtez ma bavaroise...
» Le joli bras !... Prenez une framboise...
)) - Ah ! ah î ah ! ah!... ah! ah ! ah ! ah ! »
AïK ; Faut-il qu^un homme soit, etc.
A droite la femme répond :
(( Voyez comme je suis éjnuc ! ,
» Avec vous si je suis venue,
» C'est que mon mari , dans le fond ,
» Mérite bien un tel affront.
» Depuis un an il me délaisse ;
» Monsieur prétend que son docteur
» Lui défend la moindre tendresse...
» Faut-il qu'un homme soit menteur !... ■• (/y/A.^
466 LA BULLE DE SAVON.
Air. : Daignez m'<?par»;ner, etc.
A gauche , le monsieur disait
(( Ma chère , je ne veux rien taire ;
» Je suis marié ^ c'est un fait ,
)) Mais ma femme ne saurait plaire ;
« Elle a quarante ans bien sonnés ,
)) Ce n'est pas que je la df'teste !
» Mais elle a les traits bourgeonnes ,
» Les cheveux roux, les yeux tournés.
)) Daignez m'épargner le reste. »
Air : Vite , \ itc prenez le patron.
« Faut, mon fils ,
» Des époux assortis , »
M' dit Nanon,
En croquant l' macaron ,
« Je t'aim' , mais !
» Si tu m' trompais
)) Jamais ,
» Je t'estropîrai ,
M Je te tûrai ,
» Vrai.
» — Nanon , un baiser !
» — Veux-tu m' laisser!
» Voilà les garçons
» Qui rôdent dans les environs.
» — Un baiser , i' te dis,
» — C n'est pas permis...
» Est-il libertin ,
» Est-il taquin !
LA BULLE DE SAVON. ^67
» Dieu ! qiieu lutin î
)) — JTauraibien...
» — Tu n'auras rien,
» Vaurien. »
V'ia-t-il pas
Qu'alors en jouant des bras,
Patatras '
J' fais rouler à quatr' pas
De d'sus la table sur le sol
L' bol !
Air des Trembleurs.
ISanon crie, elle est fâchée;
Eir dit que je l'ai tachée;
Eir s'était endimanchée
Pour venir au boulevart.
Effrayés de ce tapafje ,
Les couples du voisinage
Sortent de dessous l'ombrage
Pour soupirer autre part.
Air : Ciel 1 l'univers , etc.
Mais qu'est-ce donc ? on se chante une gamme ,
Près du quinquet les amans .s' trouvant tous ;
A gauclie on dit: « C'est ma femme ! »
A droite : « C'«'St mon époux !
» — Perfide ! — Infâme !
» Crains mon courroux !
)) — Sont-ils bét's ! » ditlNanon,
» \i\\ î pourfjuoi don("
» Prendre ce ton '.'
i
^168 LA BULLE DE SAVON.
j) Fs d'vraient soudain
» S'donner la main. »
Air du Mirliton.
« Qu' faisiez-vous ici , madame ? »
Dit le mari furibond.
« Monsieur , » lui répond sa femme ,
« J'apprenais de ce beau blond
» L'air du mirliton,
» Mirliton , mirlitaine ,
)) L'air du mirliton, ton , ton. »
Au'. : Mes cheis enfans, unissez-vous.
« Mais VOUS, monsieur, dans c' bosquet-là,
)) Avec mamzeir qu'alliez -vous faire ?
» Vous me refusez 1' nécessaire !
» Et vous fait's ici des ejotra !
n — Madam' ! mam'zelle est un' vestale ,
» Ou' son pèr' me laiss' prom'ner les soirs ,
» Pour que j' l'instruis' sur les devoirs
» De la piété filiale. » (6«.)
Am : Oh ! oh ! oh ! oh 1 ah ! ah ! ah ! ah !
Durant l' colloque précédent ,
Le blond et la d'moiselle
Jugèrent qu'il était prudent
De n' pas s' mêler d' la qu'relle ;
Laissant les autres s'tirer d' là ,
Zeste, chacun d'eux s'en alla,
Fih..
Oh! oh!oh! oh!ah! ah! ah ! ah!
Les époux rest^r'nt comm' baba.
LA BULLE DE SAVON. ^169
Air du fleuve de la vie.
Par les chers objets de leur flainine
S' voyant alors abandonnés,
Monsieur prend le bras de madame ,
Ils ont tous les deux un pied d'ncz.
En songeant au nœud qui les lie,
Ils dis'nt qu' c'est divertissant
De descendre , en se haïssant ,
Le fleuve de la vie !
Air : J'oiis un cure palriolc.
Nanon , qu'est toute fripée ,
M' dit : « Sortons d'ici, Cadet ,
» J'aime ben mieux la Râpée,
» On y voit ce qu'on y fait.
» Quand tu me promèneras ,
» Quand tu me régaleras ,
» C'est fichu !
j) C'est là qu' tu
» C'est làqu' tu m'ennnenerus ,
» Oui, c'est là que tu m'emmèneras. »
Air de la Croisée.
J' partons, et d'un air {jracicux
A mon bras Nanon se balance:
Mais de c' que j'ons vu dans ces lieux
Je tirons cette conséquence :
Epoux d'un ijiinois aj^arant,
lledoutez-y les infortunes !
Car Hu jardin Turc, leCioissant
IN'eat puf là pour des prunco.
"' /
70 LA BULLE DE SAVON.'
MA LISETTE , QLTTTO?JS-NOLS.
Air : Depuis lon(;-temps j'aimais Adèle, ou Air de M. Etienne Yoi»el.
Quittons-nous , mon aimable Lise ,
Ton cœur ne peut se corrij^er ;
Crois-moi , tu te seras méprise
En jurant de ne plus changer.
Ta bouche , toujours avec grâce ,
Dit que j'ai tort d'être jaloux ;
Mais pour moi tes yeux sont de glace ! . . .
Tiens, ma Lisette, quittons-nous.
Lorsque dans un tendre délire
Tu jurais de m'aimer toujours ,
Ton ame ne pouvait suffire
A tes transports, h nos amours.
Ta main , alors , cherchait la mienne :
La presser te semblait bien doux !
Maintenant je cherche la tienne. . .
Tiens, ma Lisette, quittons-nous.
Jadis le temps passait bien vite !
Cependant nous n'étions que deux ;
Mais ta chambre, quoique petite.
Suffisait pour nous rendre heureux.
Maintenant , tu regardes l'heure
Au lieu de pousser les verrous!...
L'ennui pénètre en ta demeure...
Tiens, ma Lisette, quittons-nous.
LA BULLE DE SAVOlS . 'l T'I
Mais ne crains pas que je te blâme ,
On n'est point maître de son cœur;
Demain ; peut-être, une autre femme
Doit m'inspirer une autre ardeur;
Alors tes charmes, que j'adore,
Dans mon cœur s'effaceraient tous;
Ah ! pendant que je t'aime encore,
Tiens, ma Lisette, quittons-nous.
PLUS 0^ EST D'AMIS, PLUS ON BOIT.
Chanson de table faite pour une réunion d'artistes.
Air : Francs buveurs que Bacchus inspire.
Loin de nous, chassant l'humeur noire.
Tous , gais artistes , bons vivans ,
Aimant à chanter, rire et boire ,
Nous nous rassemblons tous les ans.
A nous un ami s'incorpore ,
Avec plaisir on le reçoit,
Nous en trinquerons mieux encore,
Plus on est d'amis (his)^ plus on boit.
Le plaisir luit la solitude ,
Pour le trouver vive un banquet !
Où , se délassant do l'éttide ,
On chante gaîment son couplet.
472 LA BULLE DE SAVON.
A trinquer un ami m'engage ,
J'en vois deux , mon plaisir s'accroit -,
J'en vois dix^ je bois davantage.
Plus on est d'amis (bà), plus on boit.
La vigne date du déluge ,
Noé , patriarche divin ,
Quand vint la fin de ce grabuge ,
Dit : « Assez d'eau, songeons au vin. »
C'est grâce à lui qu'on se rassemble ;
A notre amour il a bien droit ;
Yivons en paix , choquons ensemble :
Plus on est d'amis {bis) , plus on boit.
Que l'on se boxe en Angleterre ,
Qu'à Rome on aille faire un vœu ,
Qu'en Chine on se fasse la guerre,
Nous nous en soucions fort peu.
Pour s'égayer le Français chante;
Ici , messieurs , pour tout exploit ,
Au lieu d'un coup, buvons en trente ,
Plus on est d'amis (bis) , plus on boit.
Que chacun boive à sa maîtresse ,
Et même il serait bien , je crois,
De boire aussi, par politesse,
A nos maîtresses d'autrefois ;
Par ce moyen , jusqu'à l'aurore ,
Nous resterons en cet endroit,
Et demain nous dirons encore :
Plus on e«t d'amis {bis) y plus on boit.
LA BULLE DE SAVON. Mû
ÉLOGE DES CHEVEUX ROUX.
Air du Ballet des Pierrots.
Nous voyons chacun dans ce monde
Avoir ses penchans favoris ;
L'un adore une femme blonde,
Des brunes un autre est épris;
Les cheveux châtains ont fait naître
Tendres soupirs , aveux bien doux ;
Moi, je NOUS surprendrai peut-être,
Mais je suis pour les cheveux roux.
En se promenant dans la ville,
A chaque pas on voit marcher
Des blondes, des brunes par mille!
Les rousses, il faut les cliercher;
Suivez-vous gentille bruuette,
Vin{jt jeunes {jens font comme vous;
Mais on voit plus souvent seulette
La jeune fille aux cheveux roux.
Tarquin adorait de Lucrèce
L'air noble, le nez aquihn ;
Catulle aimait de sa ni.iitresîse
Le joh bras et l'air malin;
Ce fut pour les beaux yeux d'un pâtre
Qu'Hélène trompa son époux,
^7i LA BULLE DE .SAVON.
Mais Antoine de Cléopâtre
Aimait surtout les cheveux roux.
S'il faut en croire un vieil adage,
Les yeux sont le miroir du cœur ;
Les cheveux prouvent davantage ,
Et je juge sur leur couleur :
La blonde est souvent nonchalante ,
La brune se met en courroux ,
Mais Tame doit être brûlante
Lorsque l'on a les cheveux roux.
LA PEUREUSE.
Air du Beau ciel de l'Occitanie.
Nous habitons une chaumière
Sur la colline , au bord de l'eau ;
Là, seule, auprès de ma grand'mère,
Dans le jour tout me semble beau ;
Mais dès que la nuit devient sombre,
La paix s'éloigne de mon cœur;
Je tremble en regardant mon ombre ,
Et de tout je sens que j'ai peur.
Du chêne dont j'aime l'ombrage,
Quand le soleil est trop ardent,
Le soir je fuis l'aspect sauvage ;
Il me semble voir un géant.
LA BULLE DE SAVON. "173
Sous le bosquet, où , dès l'aurore ,
Chanter, jouer, fait mon bonheur.
Quand il fait nuit je tremble encore ,
Et de tout je sens que j'ai peur.
Le matin je cours la campagne
Sans redouter aucun danger ;
Mais le soir la frayeur me gagne
Rien que pour aller au verger.
Le vent qui souffle le feuillage.
Au loin, les pas du laboureur,
Jusqu'à la cloche du village ,
Ah! de tout je sens que j'ai peur.
Le matin sur l'herbe fleurie
Avec Colin j'aime à causer.
Souvent même, quand il m'en prie,
Je lui permets de m'embrasser ;
Mais le soir, pour faire l'aimable ,
Chez nous, s'il frappe avec douceur,
Je dis : « IN'ouvrons pas, c'est le diable! »
Car de tout je sens que j^ai peur.
Ah ! comme je suis malheureuse
Quand vient l'heure de se coucher!
Jusqu'à mon lit, toute honteuse.
Je vais en m'écoutant marcher,
Si j'entends le moindre murmure ,
Tout habillée , avec terreur,
Je me mets sous ma couverture ,
Et là , toute la nuit j'ai peur.
i'iG I^A. EULLE DE SAVON
LE RETOUR.
Air d'Aristippe.
Je te revois, mais tu n'es plus la même ,
Entre nous deux que s'est-il donc passé?
Auprès de moi , ta froideur est extrême ,
Tes yeux distraits , ton air embarrassé.
Pour oublier les ennuis de l'absence
A te revoir quand j'ai su parvenir,
Si tu n'as plus que de l'indifférence...
Devais-tu donc me laisser revenir !
Quoique éloigné , je te voyais sans cesse ,
Ton souvenir me suivait en tous lieux ;
Je te rêvais me prouvant ta tendresse ,
Me répétant le plus doux des aveux;
Je te voyais versant encor des larmes
Quand il fallut loin de toi me bannir !...
L'illusion du moins avait des charmes...
Devais-tu donc me laisser revenir !
Tu n'aimes plus... mais quel trouble t'agite?
Ton front rougit, j'entends trembler ta voix;
Plus oppressé déjà ton sein palpite,
Et ton regard devient comme autrefois.
Mais, 6 douleur!... un autre amour t'enchaîne.,
Ce doux regard, je n'ai pu l'obtenir!
Ah ! pour me faire éprouver tant de peine ,
Devais-tu donc me laisser revenir!
LA BULLE DE SAVON. 47'
LA BIENFAISANCE,
ou HONNI SOIT QUI MAL Y PENSE.
Air : Pensez à moi.
Faites le bien , (bis.)
C'est ce que je dis à la ronde.
Contre le destin chacun gronde ;
Moi, d'être heureux j'ai le moyen ,
Imitez-moi, jeunesse aimable,
Pour trouver le temps supportable ,
Faites le bien. (Ufois.)
Faites le bien ,
Vous qui , malgré votre richesse ,
Rongés par l'ennui , la paresse ,
Goûtez tout sans jouir de rien ;
Si vous voulez qu'on vous honore,
Vous pouvez être heureux encore ,
Faites le bien.
Faites le bien.
Femmes dont l'époux est volage ,
De son trésor faites usage ,
Puisqu'il n'en reste pas gardien ;
Si l'inconstant vous abandonne,
Pour chasser l'ennui qu'il vous donne,
Faites le bien.
4t
/f78 l^A BULLE DE SAVON.
« Faisons le bien , »
Me disait certaine dévote,
Encor jolie, et point bigote,
Dont j'obtenais un entretien ;
(( Dieu! que c'est beau la bienfaisance!
» Ah! monsieur, quelle jouissance!
» Faisons le bien. »
« Faisons le bien , »
Répète cette douairière ,
Elle se marie à Gros-Pierre ,
Et dit en lui passant son bien :
« Soyez riche , c'est mon envie ,
» Mais avec moi toute la vie
» Faites le bien. »
Faites le bien ,
Vous qui fiites jadis {rri.sette ,
Vous portez béret, plume, ai^jrette,
Vous avez un luxe indien !
Mais du temps de votre indijjence,
Si vous conservez souvenance,
Faites le bien.
« Faisons le bien , v
Dira toute femme sensible ;
Au malheur elle est accessible,
Dût-elle obli{}cr un vaurien.
En France , en Prusse, en Itah'e,
Que répète femme jolie ?
« Faisons le bien. »
LA BULLE DE SAVON. -17?)
Faites le bien ,
Jeunes gens, voilà ma morale,
Evitez le bruit, le scandale,
Au pauvre servez de soutien ;
A la beauté voulez-vous plaire ,
Soyez galans , sachez vous taire ,
Faites le bien.
LA MARGUERITE.
Air de M. Voiïfl.
Gentille jouvencelle
Compte ù peine seize ans;
Déjà son cœur recelle
D'amour chagrins naissans.
Sur son sein qui pal]>ito,
Est une marguerite,
CiCtte fleur, qui dit tout,
Hépond à la petite :
" On t'aime un peu , beaucoup. »
Celui qui sut lui plaire
Déclare son amour,
Et la naïve Claire
Promet tendre retour;
Puis, voulant en cachefto
Voir si feu d'amourette
Durera constannntMit,
^80 LA BULLE DE SAVON.
Prend la fleur qui répète :
<( Oui, passionnément. »
Raison nous abandonne
Quand amour est vainqueur;
La ber{^ère se donne
A l'ami de son cœur.
Notre pauvre petite
De l'amour qui l'agite
Sent s'accroître le feu ,
Mais , las ! la marguerite
N'en promet plus qu'un peu.
La pauvrette attristée
Vient aux champs chaque jour,
Mais la fleur, consultée.
N'annonce plus d'amour.
Vous qui de la tendresse
Goûtez la douce ivresse,
Conservez votre erreur,
Après une faiblesse
N'effeuillez plus la fleur.
L'AMOLR ET LE DIABLE.
Air de M. Milhès, ou d'Une heure de Mariage, ou Ne vois-tu pas, jeun*
imprudent.
On prétend qu'avec Lucifer
L'amour a des intelligences.
Et que chez le diable , en enfer,
Tl n souvent «les conférences.
LA BULLE DE SA\OiN. '1 81
Ces deux médians, quittant leur cour,
Font sur terre maint tour pendable!
Et l'on dit même que l'amour
Quelquefois ne vaut pas le diable.
N'attendez d'eux nulle pitié,
Partout il leur faut des victimes j
Sous le masque de l'amitié ,
Parfois l'amour commet nies crimes ;
Le démon, qui craint le grand jour.
Dans la nuit vient faire l'aimable.
On croit ne céder qu'à l'amour.
Et souvent on se donne au diable.
Jeunes filles, craignez l'amour;
Pauvres maris , craignez le diable;
C'est le cœur qu'attaque l'amour,
C'est le corps qu'attaque le diable.
Mais enfin , s'il faut à son tour,
Que chacun de nous soit coupable,
Soyons-le tant avec l'amour.
Qu'il ne reste rien pour le diable.
LE CHANSONNIER FRANÇAIS.
Air : Un njcnadicr c'est une rose.
Eprouvant la douc(3 inllucnce
Du sol heureux qui l'a porté,
-182 LA LULLE DE SAVON.
Aux vieux tensons, à la romance,
Préférer franchise et gaîté ; (bis.)
Aimant le vin à la folie ,
Son pays autant que sa vie,
Et les dames avec excès ; (bis.)
Voilà le chansonnier français.
Repousser le ton romantique ,
Rire du nom de troubadour ,
Préférer la ronde au cantique ,
Fane au moins dix couplets par jour j
Se dire en accordant sa lyre ,
Pourvu que la gaîté m'inspire,
Mes refrains auront du succès j
Voilà le chansonnier français.
Célébrer la blonde et la brune;
Mais , tout en chantant les amours,
Trouver aussi pour l'infortune
Et des larmes et des secours ;
A l'invalide sans ressource
Offrir et sa plume et sa bourse ,
Cacher avec soin ses bienfaits.
Voilà le chansonnier français.
Le matin quitter sa demeure
En chercliantun refrain nouveau ;
Trouver la rime , oublier l'heure ,
Marcher souvent dans le ruisseau ;
Parler tout seul d'un air comique,
Se jeter dans une boutique ,
LA liULLE DE SAVON. iSô
Rire des dégâts »|u'il a faits,
Voilà le chansonnier français.
Mais en voyant une grisette ,
Au doux minois, à l'air coquet,
Sur les beaux yeux de la fillette
Faire sur-le-champ un couplet;
Le lui chanter d'un air bien tendre ;
Puis , en causant , tâcher d'apprendre
Si chez elle on aurait accès...
Voilà le cliansonni«^r français.
Loger parfois dans la mansarde.
Savoir v narguer le chagrin;
Au lieu de la harpe d'un barde,
S'accompagner sur un crincrin ;
Enfin , à la table d\m prince
Préférer un repas fort mince ,
Dont l'amitié ferait les frais;
\oilà le chansonnier français.
LA VIEILLE DE SEIZE A!NS.
Air de M. l'.iii»crori , <<// Jeunes b<:autc.>i au ixyard tendre.
llêves heureux de ma jeunesse,
Vous me promettiez le bonheur,
A quinze ans j'en connus l'ivresse,
Et Charles posséda mon cccur;
iHÂ LA lîULLE DE SAVON.
Mais le doux charme de ma vie ,
Hélas ! n'a duré qu'un printemps !
Celui que j'adore m'oublie...
J'ai cessé de plaire à seize ans.
Quand il me nommait son amie ,
Il vantait mes faibles appas;
Le plaisir me rendait jolie
Lorsqu'il me pressait dans ses bras;
Mais , hélas ! je n'ai plus de charmes
Depuis qu'il trahit ses sermens...
Mes yeux sont éteints dans les larmes ;
J'ai cessé de plaire à seize ans.
Trop courts instans de son délire,
Où je savais me faire aimer !
Près de Charle en vain je soupire,
Je n'ai plus rien pour le charmer !
Pourtant mon cœur ne peut se taire ,
Pour l'ingrat il bat, jei le sens...
Ah ! devrait-on cesser de plaire
Puisqu'on aime encore à seize ans ?
LES ESPRITS.
Air : Quand les bœufs vont deux a deux ( de Richard).
Dût-on rire de moi,
Je l'avouerai de bonne foi ,
Souvent je me suis surpris
A regretter les esprits.
LA BULLE DE SAVON. ^ 85
Dans le temps de la ma^ie
Des sorciers , de la féerie ,
Par un fortuné destin ,
A minuit, dans sa chambrette.
On pouvait sur sa couchette
Trouver un petit lutin.
Dùt-onrire , etc.
On était inexorable
Pour tous les suppôts du diable,
Et souvent on en brûla ;
Mais depuis qu'on les délaisse ,
Depuis qu'en paix on les laisse,
Les sorciers nous laissent là !...
Dut-on rire, etc.
Chez cette vieille comtesse
Jadis on avait sans cesse
Quelques esprits siJr ses pas ;
Maintenant dans sa demeure
On se promène à toute heure,
Et l'on n'en rencontre pas !
Dût-on rire, etc.
Mourir et puis apparaître
Dans le plancher disparaître,
C'était jadis notre lot ;
Maintenant quand on expire
On ne revient pas nous dire
Seulement un petit mot.
Dût-oa rire, etc.
■186 LA HULLE DE SAVON.
Le soir, aller à la cave
Annonçait quelqu'un de brave,
Cela faisait grand honneur;
Maintenant il faut qu'on aille
Sous le feu de la mitraille
Prouver que l'on a du cœur.
Dut-on rire, etc.
Sous un aspect olivâtre
Un seul fantôme au théâtre
Faisait courir tout Paris ;
Mais on a changé de mode ,
Nos auteurs trouvent commode
De ne plus montrer d'esprits.
Dût-on rire, etc.
Un revenant secourable
Nous disait : « Là , sous le sable ,
») Cherche , un trésor t'appartient. »
Mais, hélas ! argent, sagesse.
Constance , beauté , jeunesse,
Aujourd'hui rien ne revient.
Diit-onrire , etc.
Que j'aille à la comédie
Ou même à l'Académie ,
Entendre un discours fort beau ,
D'un détracteur de Voltaire
Que je lise un commentaire,
Je répète de nouveau :
LA ijULLt DE SAVON. "187
Dùt-on rire de moi ,
Je l'avouerai de bonne foi ,
Souvent je me suis surpris
A regretter les esprits.
LE JEL.^E SOLDAT.
Air de M. Hippolvlc Lhuillicr,o» Amcdéc de Bcauplan , ou Air du Pauvre
Berger.
Ne v'ià que six mois
Que j' port' l'unilorine
Et les plus sournoi.s
Disent que j' me forme;
Je n' suis plus c' Jean-Jean
Qu'on trouvait si bête !
A tabl' j'ai d' la tête ,
J' bats un rataplan;
J' fais du bruit comm' quatre ,
Pour un rien j' vfux m' battre !
Aussi r mond' dit-il
Que j' suii> ben gentil.
Pour marcher au pas
J' n'ons pus la têt' dure ,
J'arrondis les bras,
Je prends d' la tournure ;
Je tends le jarret ,
-188 LA LLLLE DE SATON.
Et quand je m' dandine ,
Dieu ! que j'ai bonn' mine
Avec mon briquet !
Je valse avec grâces ,
Je sais fair' des passes !
Aussi r mond' dit-il
Que j' suisben gentil.
Quand le régiment
Pass' dans un village ,
J' mets en un moment
Un' ferme au pillage j
Poulets et dindons,
Je vous prends en traître ,
On n' voit plus r'paraître
Ceux que j'abordons;
Si l'on me querelle ,
Je cass' la vaisselle ,
Aussi l'mond' dit-il
Que j' suis ben gentil.
Auprès d'un tendron
D' figure agaçante ,
Comme un franc luron
D'abord je ni présente ,
J' dis I « Y'nez donc causer ,
» Jolie insulaire ,
» Je suis militaire,
)) r m' faut un baiser.
» — J' n'en donn' qu'à ceux qu' j'aime ! »
Moi , j'avanc' tout d' même ;
LA BULLE DE SAVON. 'ISO
Aussi r mond' dit-il
Que j' suis ben gentil.
En passant cheux nous
Ai-je fait le diable !
Ils ont ben vu tous
Comm' j'étais t'aimable !
Avec un dragon
J'ai bu r vin d' ma tante,
A sa p'tit' servante
J'ai fait un poupon;
J'ai mangé, j'espère.
Tout l'argent d' mon père !
Aussi r monde dit-il
Que j' suis ben gentil.
LAISSEZ-VOUS FAIRE.
Air do la Poiipôo.
Ici-bas, chacun suit ses goûts,
Laissez-vous faire est ma devise;
A plus d'une belle, entre nous.
Je crois aussi l'avoir apprise ;
Dans le monde , pour parvenir ,
Résister n'est pas l'nrflinaire ,
Le moyen de tout obtenir
Est souvent de se laisser fairo.
-190 T. A rULLE DE SAVON.
Jeune fille à peine a seize ans ,
Que son cœur s'enieut et s'agite ;
Lui lient-on des propos galans ,
Elle rougit, son sein palpitej
Rien n'est si joli que l'amour :
Or , comme on ne peut s'y soustraire,
Quand un amant vous fait la cour,
Jeunes filles, laissez-vous faire.
Claude , en sortant de son endroit ,
Savait , dit-on , à peine écrire ;
Mais Claude se tenait bien droit,
Il avait un joli sourire j
Une intrigante le poussa ,
A plus d'une belle il sut plaire,
Et s'il parvint, s'il amassa,
C'est que Claude s'est laissé faire.
Les Dieux mêmes nous ont appris
A tenir ce tendre langage :
Que dit le Dieu Mars à Cypris?
Que dit Ixion au nuage ?
Que repète encore Apollon ,
Quand Daplmé fuit le téméraire ?
A Psyché que dit Cupidon?
C'était toujours: « Laissez-vous faire ».
Être content de son destin ,
C'est la bonne philosophie ;
S'il l^ut partir, un beau matin
Sans murmurer quittons la viej
LA BULLE DE SAVON. i9i
Vingt docteurs , dans ce moment-là ,
Ne pourraient nous tirer d'affaire.
Quand la mort dira : « Me voilà , >.
Il faudra bien la laisser faire.
LE BERGER ET LA BERGÈRE.
PASTORALE , SI l'oN VEUT.
Air : Vos mari» en Palestine.
« OÙ donc allez -vous , bergère ?
» — Je me rends aux champs, berger.
» — Vous me permettrez , j'espère ,
)) Avec vous de voyager.
» — A votre désir j'adhère,
» Si ça peut vous obliger. »
Et là-dessus , la bergère
A pris le bras du berger.
« Je crois qu'il tonne , bergère.
» — Je le crois aussi , berger j
» Je suis mise à la légère.
» — Je n'ai pas de quoi changer ;
» Mais cette grotte, ma chère ,
» Peut fort bi<'n nous ])rr)t(''{jrr.
» — Entrons-y, » dit la bcrgèrr.
« — Entrons-y , » dit le berger.
-192 LA BULLE DE SATON.
« — Je VOUS adore , bergère.
» — Je vous aime aussi , berger.
» — Entendez- vous le tonnerre ,
» Ce temps va se prolonger !
M Mais ici sur la fougère,
» Nous braverons le danger.
>i — xili ! quel coup! » dit la bergère.
» — Ah ! quel coup ! » dit le berger.
« L'orage est passé , bergère.
» — Quoi! déjà passé, berger?
» — Retournons chez votre mère.
» — Non, c'est trop tôt y songer.
» Tenez, voyez, l'atmosphère
» Nous dit de ne pas bouger.
» — Il fait superbe , bergère.
» — Je vous dis qu'il pleut , berger. >»
Alors on vit la bergère
Courant après son berger ,
Du ton d'une harengère
Vouloir le dévisager.
Vous qui croyez aux Glycères ,
Aux Corydons mensongers ,
Dieu vous garde des bergères ,
Dieu vous garde des bergers.
LA BLLLK DE SAVON. "19."^
TL IN'EST PLUS LA.
Air : .le pars rlomain ( il<^ Marie '.
Il n'est plus là , celui que deux années
Auprès de moi le plaisir rappela ;
Adieu sermeus d'unir nos destinées !
A<lieu beaux jours 1 époques fortunéejs 1
Il n'est plus là.
Il n'est plus là ; pourtant dans la souFfrance
Plus d'une fois ma voix le consola !
Lui qui n'était heureuiî qu'en ma pré.senre ,
Oui maudi-ssait les heures d^ l'nbsenre. ..
Il n'est plus là.
Il n'est plus là... l'amour ailleurs l'engage.
L'amour !... son rctuir ne (!onnaît pas cela !
Vous qui charmez maintenant le volage ,
\ Il jour aussi vous direz, je le gage ,
Il n'est plus là.
ii
i<U LA BULLE D?: SAVON.
LE SAGE COMME IL Y E> A TAINT.
Air de Lantara.
Comme je fais vœu d'être saj^e
Sitôt que je n'ai pas d'argeni '.
Des plaisirs repoussant l'image ,
Le monde me semble affligeant ;
Mais aussitôt que je sens dans mes poches
Sonner les fonds que j'ai reçus ,
Je ne puis plus songer qu'à des bamboches ,
Et je fais rouler mes ëcus.
Lorsque je suis à court d'espèces,
Je me dis : Fuyons la beauté!
C'est par de trompeuses caresses
Que jadis l'homme fut tenté.
Mais aussitôt que la fortune arrive ,
D'un bel œil admirant Fémail !...
Chaque minois me séduit, me captive !
Je voudrais avoir un sérail !
Le jeu n'est qu'une frénésie !
Me dis-je, quand j'ai tout perdu.
L'homme atteint de cette folie
Mériterait d'être pendu !
Mais quand je vois de l'or dans ma cassette,
Je mets des cartes de côté ,
LA BULLE DE SAVON. ^95
Et si je quitte un moment la roulette,
C'est pour jouer à l'ëcarté.
Quel ennui de manger , de boire ,
Me dis-je quand je n'ai plus rien ;
Ln ivrogne perd la mémoire,
Un gourmand dépense son bien !
Mais quand Plutus me devient favorable ,
Bien dîner me paraissant doux,
Chez un traiteur je vais me mettre à table.
Et je passe )a nuit dessous.
LES SOUVE?^IRS.
Air des Créoles.
Désirant voir naître l'aurore.
J'allais auxclianips de grand matin ;
•Nous nous trouvâmes en chemin.
De ce beau jour te souvient-il encore?
Ton regard disait : « Je t'adore. »
Pendant long-temps, pour nous revoir.
Nous nous retrouvions chaque soir.
De ce temps-là te souvient-il encore?
Lorsqu'un feu brûlant nous dévore ,
Ou jtire d'aimor constanmient :
Tous (hux nous cri fîmes serment;
D<' ce .serment te .souvient-il encore ?
■\^Uj l,A liLLLC DR SAVON,
Bientôt ton retour que j'iuipîoi'f'
Doit à jamais nous réunir ;
Hâte-toi donc de revenir ;,
Si de m'ai mer ta te souviens encore.
LES JEUX INNOCENS.
Chansonnette qu'il ne faut chanter que lorsqu'on roiinaît tous
1rs noms despetits-jeux.
Air du Code et l'.iinour.
Chez maman tous les soirs on joue
ni fi'érens jeux tort amusans ;
Mais , moi , j'aime mieux, je l'avoue ,
Me mêler aux jeux innocens ;
On s'y presse, on badine, on cause ,
On peut parfois se parler bas ;
Enfin , on se dit mainte chose
Oue les mamans n'entendent pas.
Quand je vois un jeune homme aimnl)Ie
Faire le portier du couvent.
Je me donne un air agréable,
Pour qu'on m'appelle plus souvent ;
Quoique je ne sois pas coquette ,
Plus d'un monsieur, au rej^jaid doux,
Ma pour ma boîte dainourrttc
Oli'ert de fort jolis bijoux.
LA BULLE DE SAVON. ^97
J'aime beaucoup que l'on me fasse
Quelque coLupliiiient i?n/j/oniplu;
Mais ce dont je suis bientôt lasse ,
C'est du propos nttciroiupu.
Qu'un jeune homme de bonne mine ,
En secret de moi soit épris ,
Savez-vous quand je le devine?
(Vest au Colin-tti a illard assis.
Avec mou cousin Tiiéodore
J'ai long-temps boudé l'autre jour ;
Avec lui jaime bien encore
Faire souvent \*t poul d amour.
Quand nous sommes en tète à téte^
Nous jouons à mon corbillon ,
Et sa réponse est toujours prête
Dès que je lui dis : (ju'y luet-oii?
Pourtant je suis tort en colère ,
Ali ! mou cousin, ça me déplaît,
Et je prétends dire à ma mère
Ce qu'hier au soir vous avez fait ;
Oui , j'ai bien vu , quoi qu'il en dise ,
Que ce monsieur , d'un air malin ,
Quand près de lui j'étais assise ,
Mettait dans \c trou du roisiji.
Ace» petits jeux , dit ma mère ,
On trouve souv<Mil nu épcuix ;
Moi, si l'on in'rn flonfu" un . j r>|)(i(
QiTil srra tivs-habil<* à tous,
^98 LA BULLE DE SAVON.
Dans mon cœur pour qu'il trouve place ,
D'avance , je le dis tout net ,
Il faudra que mon mari fasse
Un , deux , trois , (lualre , ciiuj , six , sept.
IL NE FAUT PAS REVER TOUJOURS.
A une dame qui me disait que sou plus grand bonheur était
de dormir,
Ain : A deux époques de la vic.^
Quoi ! dans l'âge de la tendresse ,
Dormir a pour vous tant d'appas !
Mais , si vous sommeillez sans cesse,
Auprès de vous on ne dort pas.
Vous prétendez dans chaque rêve
Voir commencer d'autres amours;
Permettez que je les acbève...
Il ne faut pas rêver toujours.
On chérit votre caractère,
On admire votre beauté ,
D'une séduisante chimère
Vous êtes la réalité ;
Les rêves à femme jolie
Sont d'un inutile secours ;
Au temps heureux de la folie,
Il ne faut pas rêver toujoursi
LA BULLE DE SAVON. i99
Laissez rêver le pauvre hère ,
Qui fait en songe un bon repas ;
Laissez rêver la bonne mère,
Qui croit voir son fils dans ses bras ;
Au malheur le sommeil fait trêve,
Il change les nuits eu beaux jours ;
Mais, vous, à qui toujours on rêve.
Il ne faut pas rêver toujours.
LES SYNONYMES FRANÇAIS.
Air du vaudeville de l'Amant sumiiaiiibulc.
Souvent l'amour dans son langage
Aime à changer le sens des mots ;
II faut en connaître l'usage.
Pour les employer à propos.
Vou>i fjui languissez près des beJle»,
Pour devenir plus vite heureux.
Jeunes amans, croyez prèsdJ'eHe».
Bien moins leur bouche que leurs yeux.
IjC synonyme ch.ez les femmes
Est d'im usage très-commun ;
Pour r«'ussir près de ces dames,
On doit n'en oublier aucun ;
Dan.s un amoureux tête-à-tête,
En tn'inblantsi vous agissez,
Il Pniit bru.squcr votre conquête
Oiian«l on vous dira : Jinisscz.
200 L,A BULLE Dt bAVOPf.
Amour constant^ soumis, fidèle,
Cela se voyait autrelois ;
Mais aujourd'hui ^flamme éternelle
Dure à peu près deux ou trois mois.
Qui promet amour pour la vie ,
Yeut dire, en engageant sa foi :
« Passe-moi maiutejaiitaisie ,
» Je reviendrai toujours à toi. »
Des mots de : perfide , volage ,
!Se soyez jamais alarmé j
Quanti femme vous tient ce langage ,
Yous avez l'espoir d'être aimé ;
Du cœur quand vous serez le maître ,
C'est méchant qu'on vous nommera ;
Et si l'on vous appelle traître ,
(i'est que l'on vous adorera.
LE MANQUE DE iMEMOIRE.
Air du Château de mon oncle.
Pourquoi gronder , 6 mon ancienne amie
Si ma mémoire a suivi mes amours ?
J'avais, dis-tu, d'un air de bonhomie.
Fait le serment de t'adorer toujours?
Employant tout pour te rendre sensible ,
Je te iionnn;us et Ninon (.t Néiiu*;!
LA BULLt; DE SAVON. ^01
J'ai dit cela, ina chère, c'est possible;
Mais aujourd'hui je ne m'en souviens plus.
Dans les transports de ma flamme amoureuse,
Pour te prouver ma sincère amitié ,
J'ai , me dis-tu , vouki te voir heureuse
En te donnant de mes biens la moitié ;
Et par ce don, sur-le-champ exigible,
Je t'assurais tous les mois mille écus ?
J'ai dit cela , ma chère , c'est possible;
Mais aujourd'hui je ne m^en souviens plus.
\oulant encor , contre m(»n inconstance,
Te rassurer par un nœud éternel ,
Perdant pour toi ma douce indépendance.
J'ai désiré te conduire à l'autel j
Me marier ne m'était point pénible ;
Je te trouvais des grâces, des vertus...
J'ai dit cola , ma clière, c'est po.ssible ;
Mais aujourd'hui je ne m'en souviens phis.
Brel', tu prétends , et je veux bien le croire ,
Que je t'ai dit : « Si je deviens trompeur,
) Pour me punir d'une action si noire ,
» Je te permets de jne percer le cœur. »
Ah! ne va pas, dans un transport terrible,
Te préparer des regrets superflus I
On dit cela , ma chère , c'est possible ;
Le lendemain on ne s'en souvient plus.
202 LA LULLE DE SAVON.
DAME ISABELLE ,
ET LES TROIS CHEVALIERS.
RONDE OU BALLADE QUI N EN FINIT PAS.
Air : Espérance , patience ( de Fiorella ).
« Ma douce Isabelle
» Toujours aimerai ;
» Elle est la plus belle,
» Je le prouverai ;
» Pour rompre une lance
» Vais aux champs des preux ;
» Ayez souvenance
» De nos tendres feux. »
Cette histoire
Est notoire j
C'était encor
Dans l'âge d'or.
« Point n'ayez de crainte,
» Aimable Adrien ,
» Mon cœur est sans leinte,
» Je suis votre bien ,
» De votre Isabelle
» Portez les couleurs ;
M Je serai fidèle ,
LA BULLE DE SAVON.
» Vous voyez mes pleurs. »
Cette histoire, etc.
Sûr de son amie ,
Le jeune guerrier
Part, et se confie
A son destrier.
Pendant que pour elle
Il vole au tournois,
La tendre Isabelle
D'un autre a fait choix.
Cette histoire , elc.
Brûlant pour la dame,
Beau , vaillant et blond ,
Aymard peint sa flamme,
La belle y répond;
Mais quand sa tendresse
Obtient doux retour.
Quittant sa maîtresse,
Il part a son tour.
Cette histoiie, etc.
La tant douce amante.
Étant veuve encor ,
Gémit , se lamente ,
Appelle la mort.
Sensible à ses charmes.
Le beau brun Roger
De sécher ses larmes
Prétend se charger.
Cette histoire , etA;.
203
S0>4 LA BULLE Dt SAVON.
Mais quand de la belle
Il obtient merci ,
Laissant la pucelle ,
Roger part aussi.
A peine il la quitte,
Qu'un vieux chât<'lain
Vient à la petite
Proposer sa main.
(Cette histoire, etc.
Sortant de l'arène
Couverts de lauriers ,
Doux espoir ramène
Nos trois chevaliers.
Chacun d'Isabelle
Se dit : j'ai sa foi,
Et sur sa tourelle,
Elle pense à moi.
Cette histoire , etc.
Mais, ô perfidie !
Les pauvres vainqueurs
De la même amie
Portent les couleurs ;
Et la noble dame ,
Au cœur très-humain ,
Est maintenant fennne
D'un vieux châtelain.
Cette histoire , etc.
« Las, » dit Isabelle .
'> Accusez le sort ,
LA ULLLK I)K SAVOX. 505
» Point n'étaiscruelle,
» Les absens ont tort ;
» Mais quand dans la plaine
» Ira mou ëpoux ,
» Chez la châtelaine
») Venez sans courroux. »
Cette historié
Est notoire;
C'était encor
Dans l'âge d'or.
LA RKLMON DM^K.
CHANSON DE TABI.K.
Ain ; Tl me faudra qnillf^r IVtnpirc.
Amis, voici l'époque fortunée
Oîi je viens rire et chanter avec vous ;
Mais aujourd'hui d'une belle journée
L'aiMi:ib!e aspect rend cebanrjuet plus doux ;
Pendant l'hiver si ma voix , peu sonore ,
De vous distraire eut parfois le désir ,
Sous un beau ciel on doit bien mieux encore
Boire , chanter , se livrer au plaisir.
Si nous voyons ensemble la froidure ,
Ltde janvier la neige et les ruisseaux ,
Enscnd)leau moius admirons la jiature,
Charmant los yrux par do ijnns labhaux.
206 LA BULLE DE SAVOn.
Sachons, l'été, jouir des dons de Flore ,
C'est pour l'hiver un joyeux souvenir;
Sous un beau ciel on doit bien mieux encore
Boire, chanter, se livrer au plaisir.
Toujours Paris nous rassemblait naguère ;
Mais aujourd'hui , dans notre doux émoi ,
Quittant ses murs nous passons la barrière,
Et nous laissons les ennuis à l'octroi ;
Près d'un bon feu, quand Cornus nous restaure.
Si nous savons charmer notre loisir,
Sous un beau ciel on doit bien mieux encore
Boire, chanter, se livrer au plaisir.
Enfans des arts , pour devise chérie ,
Prenons toujours » Franchise et liberté » ;
La moindre entrave arrête le génie ,
Mais le grand air inspire la gaîté.
Dans cet hôtel que le luxe décore ,
A s'amuser nul ne peut réussir !
Sous un beau ciel il vaut bien mieux encore
Boire, chanter, se livrer au plaisir.
Chacun de nous, regardant en arrière ,
En soupirant, peut se dire tout bas :
De mon printemps j'ai passé la carrière.
Pour nous, hélas ! il ne renaîtra pas !
Mais le passé dans l'ombre s'évapore.
C'est le présent qu'il faut savoir saisir !
Sous un beau ciel heureux qui peut encore
Boire, chanter, se livrer au plaisir.
LA rULLE DE SAYON. 207
RENDEZ-MOI MON AKGENT.
Am : Le cordon, s'il vous plaîi.
C'est le plaisir
Qu'on veut saisir ;
Chacun Kenvie ;
On croit contenter son désir.
A tous les instans de la vie ,
Bercés par un espoir tronipetit,
Nous payons bien cher le bonheur !
Et tel prodigue sa richesse
Pour avoir fidèle tïiliîtressè ,
Pourrait dire , eti se dégageant ,
Rendez-moi mon argent. (6 fois.)
Est-on garçon ,
Il faut , dit-on ,
Prendre une femme
Afin de monter sa maison;
Puis,avecla dot de madame,
On a des chevaux, des valets,
On donne concerts et banquets ;
Mai.s oubliant qu'hvmen nous lie ,
On néglige femme jolie,
Qui dit tout bas , en enrageant ,
Rende/.-moimon argent.
208 l.A BULLE UF. SAVON.
0)1 nie promet
Succè<< complet;
Vite au tliéâtro
Je cours et me place au parquet ;
De la comédie idoliUre,
J'écoute, au milieu des amis ,
Le chef-d'œuvre qu'on m'a promis.
Hélas! plan, scène, personnaj^e,
Tout est mauvais dans cet ouvrajfe ;
Et chacun dit en délogeant,
I\endez-moi mon argent.
A l'écarté
Avec gaîté ,
Folle jeunesse ,
Tu viens chercher le bon côté;
Pour le jeu quittant sa maîtresse ,
Au bal on néglige l'amour ,
Qui peut s'en venger à son tour ;
Ou perd, on emprunte, on s'entête :
Plus d'un qui brille à cette fête ,
Dira demain, presque indigent,
l^eudez-moi mon argent.
Il faut souffrir.
Il fout mourir ,
Et dans la vie
Souvent on n'a point de plaisir;
Notre carrière est remplie;
Parfois les .^oucis , le chagrin ,
Avec nous ont fait le chemin ;
LA BULLE dp: sayon. 209
Quand on fit. un triste vova^^^e,
On pourrait en pliant bagage
Dire , sans paraître exigeant ,
Rendez-moi mon argent.
IL FAIT AliMEH
Air (le madpraoisello Caroline Moudriix , ou Air dWriiiipe.
Il faut aimer , c'est le besoin do Tame ;
Qui n'aime pas ne peut se dire heureux ;
Il faut cédera cette douce flamme
Qu'en notre cœur allument deux beaux veux.
Dan.s les palais, dan.s la chaumière obscure ,
C'est l'amour seul qui sait tout animer.
Nous entendons la voix de la nature...
Tl faut aimer.
Il faut aimer pour «Hre humain, sensible ,
Des malheureux pour adoucir le sort;
L'amour .s'éveille à la peine accessible ,
L'indifférence avec calme s'endort.
Il laui aimer pour aller à la gloire ;
Pour son amie il est beau de s'armer;
pour parvenir au temple (\o mémoire,
Il faut aimer.
Il faut ainuT , dans le printemps de l'âge,
La tendre mire à qui Von doit \o jour;
M
?fO LA BULLE DE SAYON.
Quand la raison devient notre partage,
Pour l'égayer unissons-lui l'amour ;
Et lorsqu'enfin la tremblante vieillesse
Nous dit qu'il faut renoncer h charmer ,
Pour que le cœur conserve sa jeunesse,
Il faut aimer.
LA PLLME.
Air <lii vaiidrvillr de rKliulf .
A la plume rendons hommage,
jNous envions tous ses faveurs ;
Heureux qui sait en faire usage
Sans en éprouver les rigueurs !
On souffre quand un sot la guide,
Mais le ciel forme peu d'élus ;
Plumes de Racine et d'Ovide,
Hélas! on ne vous taille plus.
(Changeant de t<m comme de maître,
Servant et l'intrigue et l'amour,
Combien d'écrits elle a fait naître
Qui n'ont pas duré plus d'un jour !
Elle a tracé mainte bévue ,
Fruit du despotisme irrité ;
Mais trop rarement on l'a vue
Conduite parla Vérité.
LA BULLE DE SAVON. ^H
Honneur à la plume fidèle ,
Qui du peuple défend les droits,
Et dans une pa^e immortelle '
Pour le pauvre élève la voix.
Honte à celle qui se partage ,
Qui pour de Torse vend soudain ,
Et qu'on voit changer de langage J? .,^^ fyr^ yuf //
Sans pour cela changer de main. J-^Afil rtJ^iJ^94' J *■
Sur la beauté qu'elle caresse
Souvent la plume nous séduit ;
Pour exprimer notre tendres.«!e,
La plume aisément se conduit.
Cédant aux désirs qu'elle allume,
Si l'on couronne notre ardeur,
Parfois c'est encor sur la plume
Que nous connaissons le bonheur.
Puisse quelque plume nous rendre
Molière, Voltaire, Rousseau;
Puisse-t-elle à l'instant se fendre
Pour qui dénigre son berceau ;
Et vous, auteurs de cent volumes,
Ecrits pour engourdir nos sens ,
De grâce, ne taillez vos plumes
Que pour faire dfs cure-dents.
212 LA HL'M.E DE SAVON.
A MON AINCIEMNE AMIE.
AiB : Oui , des beaux artsjc suis admirateur ( de Garriok ].
\
' p». *y ,. ,^ x- ,\LoilÊPfouze ans , Lise , que j'ai ton cœur,
\. ' ^ ' * 'Béjà douze ans ! époque fortunée!
Loin que le temps altère mon bonheur ,
Je crois t'aiiner encor plus chaque année.
Maîtresse nouvelle et vins vieux
Font , nous dit-on , le charme de la vie :
Je change ce refrain joyeux ,
Et trouve qu'à table on est mieux
Auprès de son ancienne amie.
Douze ans sont longs quand pardetrisles nœuds
L'indifférence avec Taniour s'engage ;
Ce temps fut court . ma chère, pour nou.s deux ;
Carde nos feux nous avons plus d'mi g:'g^.
Si dans de nouvelles amours
On met parfois plus de galanterie ,
Qu'est-il besoin de son secours
Pour compter tous les heureux jours
Passés près d'une ancienne amie?
Eprouve-t-on pour un objet iiouvcau
Ce vif désir qui fait croire qu'on aime ,
Alors pour nous le présent .vcul est benu :
Lo lendemain souvent n'est plus le même.
LA BULLE DE SAVO>. 215
Mais bien loin de nous désunir
Quand le temps voit notre ardeur affermie ,
On est riche de souvenir
Et rassuré sur l'avenir
Auprès de son ancienne amie.
Dus plaisirs même être enfin ennuyé ,
C'est en changeant ce que bientôt on trouve ;
Mais à l'amour joindre de l'amitié,
En se fixant , c'est ce que l'on éprouve.
Du sort ressent-on le courroux ,
Par le malheur doublement on se lie ,
Et ce souvenir a pour nous
Encor je ne sais quoi de doux
Auprès de notre ancienne amie.
Si je te dis que je te trouve encor
Mêmes attraits, même grâce, ma chère,
Tu me croiras , je pense , sans effort :
Après douze ans on doit être sincère;
Pour toi le temps semble arrêté;
Mais si sa main cessait d'être endormie ,
N'en conçois nulle anxiété :
Ce n'est pas que jKuir sa beauté
Que l'on aime une ancienne ami<".
214 LA BULLE DE SAVON.
VOUS FACHERIEZ-VOLS
Air ; Voilà quatre ans ([u'cn ce village ( de Léocadîe.)
Si je vous disais, mon amie,
Pourquoi je soupire en secret ;
Si je vous disais : Pour la vie
Je puis être heureux et discret;
Si , cédant à l'ardeur extrême
Que fait naître un regard si doux ,
Je vous disais enfin. . je t'aime :
Ah ! Rose, vous fâcheriez-vous ?
Vous savez que je vous adore,
Pourtant vous ne vous fâchez pas;
Mais , hélas ! je soupire encore
Lorsque j'admire vos appas;
Je désire un baiser bien tendre...
Mais je crains trop votre courroux ,
Si malgré toi j'osais le prendre...
Ah ! Rose , vous fâcheriez-vous ?
Vous pardonnez à mon déHre ;
Mais pour apaiser mes amours ,
Ce baiser ne saurait suffire.
Hélas ! je soupire toujours !
De mon amour n'étant plus maitre ,
Si je tombais à tes genoux...
Mais j'y suis j'y veux toujours être. . .
Ah ! Rose , vous fàcherez-vous ?
LA BULLE DE SAVON. 2^5
LA VIE D'UN PARTICULIKH.
Romance KUMAMiytE,
Avec dix ans d'intervalle entre «haquc couplet.
Ajk ; De ma Cétinc amant moilcstc.
l'HEJUlEK COLPLEl.
( Le particulier à dix ans.)
Que les pareils sont ridicules
Avec leur latin et leur grec !
Combien je suis las de férules ,
Et de pensum et de pain sec 1
Ah ! de grandir j'ai bonne envie !
Alors, loin d'être nonchalant ,
Je veux, tous les jours de ma vie,
Faire enlever un cerf-volant.
irEUXIÈME tOLI'LET.
I Le iiarlicuîier à vingt ans. )
Ah ! que ma cousine est jolie !
Les beaux yeux ! quel air de douceur !
Déjà je l'aime à la folie;
L'épouser ferait mon bonheur.
On m'of)jecte encore mon ftpe ;
Vin{;t ans, c'est trop jeune , dit-on.
J'en voudrais avoir (iavnntajM;
Afin d«' n'être plus garron !
516 LA BULLK UE SAVON.
JROJSlE.Mt (.«JLJ'LEl,
( Le pai'liculer a irenie ans. )
Vraiment, ma femme est ennuyeuse,
Elle veut me tyranniser ;
De mon temps, pour la rendre heureuse,
Je ne puis jamais disposer.
Après six ans d'hymen , j'espère
Qu'on doit être plus tolérant.
Quand donc, pour promener sa mère.
Mon fils sera-t-il assez {^rand !
QUATRIÈME COUPLET.
( 1.6 pariictilier à (juarante ans. )
Mon His a quinze ans , et le drôle
[ra loin, si je m'y connais !
Pour ma fille , sur ma parole ,
On admirera ses attraits ;
Je veux qu'elle épouse une altesse !
Et que mon fils soit général j
A leur noce quelle allégresse ! . . .
Quand donc en verrai-je le bal î
CINQUIÈME COUPLET.
( Le particuliei' à oiiujuaiile ans. )
Au diable soit de la lamille I
Mon vaurien a tout engagé ! . . .
Et l'argent <|u'a reçu ma fille,
Déjà par mon gendre est maiige.
LA BULLE DE SAVON. 217
Partons, car si je n'y prends garde,
Mon bien n'y suffira jamais.
Ah ! d'être loin d'eux qu'il me tarde,
Afin de pouvoir vivre en paix.
SIXIÈME COUPLET.
( Le particuliei' à soixante ans. )
En me rappelant ma jeunesse,
Maintenant que j'ai soixante ans,
Je vois que par ses vœux sans cesse
On presse la marcjie du temps ;
C'est à vieillir que l'on aspire,
Puisque, même sur mon déclin ,
Il m'arrive encore de dire :
« Je voudrais bien être à demain. »
L'HABITUDE.
Ain ; Lc'< |)oiit< \alciit bien \rs j^iand».
Le bonheur se iorme, dit-on.
Des liabitudes delà vie.
Le sage l'a dans sa maison ,
L'amant auprès de son amie.
A tout on peut s'acrontumer.
Ma Clara , laisons-en l'étude ;
Si tu le veux, de nous aimer
Nous cillfui» [uendie l'habitude
2^8 LA BULLE DE SAVON.
A touj ours être auprès de toi
Je m'accoutumerai bien vite :
Déjà tes désirs font ma loi^
C'est à rejjret que je te quitte ;
T'aimer doit être le bonheur,
J'en ai la douce certitude ;
' Je sens au trouble de mon cœur
Qu'il en prend déjà l'habitude.
Mais il laut aussi m'exprimer
Que tu partages mon ivresse ;
Songe qu'il faut t'accoutumer
A me permettre une caresse ;
Lève les yeux sur ton amant ,
Ma Clara, ne fais point la prude;
De peindre un tendre sentiment
Donne-leur vite l'habitude.
Grâce à ce projet , tout me dit
Que nous serons heureux , ma chère:
En s'aimant petit à petit,
On connaît mieux son caractère ;
Défions-nous de ces amours
Que l'on forme avec promptitude ;
Ceux que l'on voit durer toujours
Sont souvent nés de l'habitude.
LA BULLE DE SAVON. 219
JE INE SUIS PAS E>COR GUERI.
Air : Les petis Talent bien les (p-ands.
D'un sexe perfide et volage
Je prétends braver les attraits ;
L'aimer encor serait peu sage,
J'en suis bien guéri désormais.
Oui, c'en est fait , je fuis les belles,
Et pourtant mon cœur attendri
Palpite toujours auprès d'elles...
Je ne suis pas encor guéri.
Cent fois trompé par des coquettes,
Irai-je encor faire ma cour ?
ISon, mesdames, dans vos conquêtes
Ne me comptez plus dès cejour.
Mais Adèle vient de m'écrire ,
C'esf demain que part son mari ;
Et d'être a demain je soupire...
Je ne suis pas encor guéri.
Que di.s-je! non, plus de maître.'?scs.
Je ne veux plus, pour deux beaux yeux ,
Croire à de trompeuses promesses ;
Ne plus aimer vaut beaucoup mieux.
Mais quelle est cette jeune fille,
Au pied jnignon , au teint fleuri ?
Dlionneur! on n'est pas plus gentille...
Je «e suis pas eucor guéri.
â20 LA JJULLK DE SAVON.
N'allons pas faire de folie 1
Et que m'importe ce minois !...
Mais cette femme est bien jolie ..
Kille me remarque, je crois.
Oui , j'en suis certain , ia petite ,
En me regardant a soui i. . .
Pour la rejoindre allons plus vite...
Je ne suis pas encor guéri.
LA CHAUMIERE.
Air de M. Et. Voisel , ou Air du \audcvillc de l'Actrice.
Séjour de mon heureuse enfance ,
Qu'il me fallut top tôt quitter ,
Vers toi , franchissant la distance ,
Ma pensée aime à se porter.
Je vois ces murs couverts de lierre ,
Ce foyer, ce toit protecteur;
Et je regrette ma chaumière ,
Où je connaissais le bonheur.
Forcé de vivre au sein des villes,
J'ai connu leurs bruyans plaisirs ;
Là les hommes ne sont habiles
Qu'à se créer de vains désirs ;
Chacun d'eux use sa carrière ,
En rêvant fortune et grandeur !...
Moi , je regrette ma chaujuière
Où je connaissais le bonheur.
LA BULLE DE SAVON. ^âi
Quand de l'amour goiUant l'ivresse ,
Je crois à la félicité ,
Je suis trahi par ma maîtresse.
Qui rit de mafidélilé.
Du erand monde c'est la manière :
La constance n'est qu'une erreur ! .. .
Moi ^ je regrette ma cliaumir^re.
Ou je connaissais le bonheur.
Le désir ardent de la gloire
M'a fait affronter les combats ;
Alors je voyais la victoire
Suivre les pas de nos s;,ldats :
Mais du temps la faux meurtrière
Moissonne à son tour le vainqueur!...
Ah ! retournons dans ma chaumière
Où je connaissais le bonheur.
LE ]\KZ.
Ain : (jVsJ parles yciix , o(r.
(l'egt par le ne/ (juc tout sellairc,
Kl , premier organe des sens,
L«' nez noiLs guide et nous éclaire
Dans nos désirs les [)lus pressans.
]/.\ Providence, touj<HU"s sage,
En Cl éant le nez, eut grand .soin
âââ LA BULLE DE SAVO».
Qu'il fût au milieu du visa^je,
Afin qu'on le vît de plus loin.
Chacun cite de sa maîtresse
Les dents , les yeux ou les contours,
Mais bien rarement on adresse
A son nez de tendres discours :
Eh ! messieurs ;, faites qu'il partage
Les éloffes que vous donnez :
Que serait le plus beau visage
Si l'on n'y voyait pas de nez ?
Voyez ce gourmand , il devins
Quand vous donnez de bons dînes :
Chez vous alors il s'achemine;
Les gourmands ont toujours bon nez.
Voyez encor cet homme en place ,
D'opinions changeant souvent;
Veut- il obtenir quelque grâce ,
Il a toujours le nez au vent.
J'aime un nez à la Roxelane,
Il donne aux belles l'air mutin ;
Sur une jeune courtisane
Ln nez à la grecque est divin ;
Chez une noble et grande dame
Je recherche un nez aquilin ;
Mais si je prenais une femme ,
Je voudrais qu'elle eut le nez fin.
Le nez est le miroir de l'ame .
Sur lui tout sf' peint , tout agit:
LA BULLE DE SAVON. 225
Avons-nous la fièvre, il s'enflamme,
Quand nous buvons trop , il rouj^it :
Enfin , si dans un tête-à-téte ,
Nos vœux ne sont pas couronnés ,
Au lieu de notre air de conquête ,
Cela nous donne un pied de nez.
LA COI Tl RIÈRE.
Air : Eh ! \p cœur à la danse . eir.
l'ne fillette de vingt ans,
Sensible et couturière ,
Disait : « Ça dure bien long-temps
» Lne semaine entière ! . . .
» Mais elle s'achèvera ,
)) Et dimanche arrivera...
» l'Lnfilons mon aiguille,
» Causons (lerj toujours ,
» Je suis jeune et gentille ,
» Pensons à mes amours.
> iJinianclie ! ah! pour moi quel plaisir !
» Comme alors je m'en donne!
)» Je n'ai qu'à former un dé.sir,
)» Et vite on le couronne,
;) Les mes.sieurs que je connais,
» Sont .si galans, .si bien laits...
t) Enfilons mon aiguille, etc.
2â4- I-A RULl.K DK SAVON.
» Monsieur Au^juste a soin d'avoir
» Des bonbons dans ses poches :
» Monsieur Jules, matin et soir ,
)•> Me bourre de brioclies î
» Si Paul ne nie donne rien ,
» Il me fait danser fort bien î
» Enfilons mon aiguille, etc.
» Comme monsieur Jules est poli ,
» Comme il valse avec grâces !
>i 11 m'a menée à Tivoli ,
» INous avons pris des glaces :
» PuiSj le soir , dans mon corset
» Il m'a mis un gros bouquet...
» Eulilons mon aiguille, etc.
» Pour Auguste , au Pied de Mnulon ,
» Je me suis enflammée ,
» J'étais en loge du grand ton ,
» La grille était fermée ,
» J'ignore ce qu'on disait ,
)» Mais comme ça m'amusait !
» Enfilons mon aiguille , eir.
» Avec Paul je dine en secret ,
» Et de peur de scandale ,
>) C'est toujours dans un cabinet :
» Mais comme il me régale !
» Je dis en vain : finisse/.,
» ÏNousen avons bien estez...
» Enfilons^mon aiguille, etc.
LA BULLE DE SAYOX. 2â-;j
» Jp n'eronterais qu'un amant ,
» Si j'avais ma semaine:
» Mais rien qu'un jour au sentiment !
» Ça me suffit à peine :
)) Pour mes dimanches , je veux
» Garder mes trois anîoureux ;
» Enfilons mon aiguille,
» Cousons (tei^ toujours :
» Je suis jeune et gentille,
» Pensons à mes amours. »
LES VIELX PÈCHES.
Air : Je vous comprendrai toujours bien (ilo l'Opt'ra-Coniique. )
Malgré notre sagesse à tous ,
Malgré notre amour de bien foire ,
Ce qu'on nous défend a pour nous,
Certain attrait involontaire,
Soyons indulgens , car, hélas!
Dans ce siècle d'ingratitude
Eh ! quel est celui qui n'a pas
Quelques vieux péchés (<r'/') d'habitude?
llortense a de la gravil»'- ,
L'd il baissé , le maintien sévère,
Elle fuit la société
De toiife femme un peu légère ;
i5
âî6 LA BULLE DE SAVON.
En secret elle a des amans ,
Dans le monde elle fait la prude;
Dissimuler ses sentimens,
C'est son vieux yxîchèÇier) d'iiabitude.
D'un sexe qui règne sur nous
Excusons la coquetterie ,
Jamais de ce péehë si doux
ISe guérira femme jolie.
La plus fidèle à son amant
De plaire à chacun fait étude;
Ah ! laissons-leur cet art charmant,
C'est un vieux péché (;<:'/■) d'habitude.
S'il faut défendre son pays ,
Partir sans que rien ne l'arrête ,
Et sous le feu des ennemis
Chanter encor la chansonnette ;
Aimer sa patrie à l'excès,
Mais détester la servitude ,
En tous les temps, chez les Fiançais,
C'est un vieux péché (^p/) d'habitude.
Si les Normands sont cauteleux ,
Si les Gascons par trop se vantent ,
Si les riches sont orgueilleux,
Si les journalistes nous mentent,
Si les amans sont attrapés ,
Si les marins ont le ton rude.
Et si les maris sont trompés ,
Ce sont des péchés (/er) d'habitude.
LA BULLE DE SAVON. 227
LE DÈSm ET L'ESPERAiNCE.
Air do l"'An<;olus.
On a quelquefois conlondu
Deux sentimens qui, dès l'enfance,
Par leurs charmes ont suspendu
Les ennuis de notre existence :
L'un est précurseur du plaisir,
Et l'autre naît de la souffrance;
Le premier fut nomme désir ,
Et le second est l'espérance.
Pour le pauvre dans son réduit
Ces deux sentimens' ont des charmes;
Le désir parfois le séduit,
L'espérance sèche ses larmes:
En amour l'un fait réussir.
Vers l'amitié l'autre s'élance ;
Le plus heureux c'est le dtîsir,
Mais le plus doux c'est l'espérance.
Au dernier jour, lorsque le Temps
Guidera la Parque cruelle,
De CHS aimables sentimens
I u seul nous restera fidèle :
Dès que la mort vient nous saisir.
Adieu , grandeurs, beauU; , puissance ,
]Nou8 perdons aussi le désir,
Mais nous emportons l'espérance.
âi8 I^A JilJl.T.E nn SAVON,
LA BROLîETÏE DE JEÂiWETTE.
AîR : Eli ! vof;uc ma naccllo ( do Marie ).
Jeannette est une brune
Qui demeure à Pantin ,
Où toute sa fortune
Est un petit jardin;
Sans cesse elle répète,
En narguant les soucis :
Eh ! roule ma brouette
Qui porte mes radis.
Jeannette eut au village
Plus d'une passion,
Fut-elle toujours sage ?
C'est une question.
Chaque jour la fillette
Dit : Allons à Paris 1
Eh ! roule ma brouette
Qui porte mes radis.
D'abord un militaire
Pour la belle brûla ;
Aisément il sut plaire ,
Mais il la planta là.
Ça Ht pleurer Jeannette
Qui bientôt a repris :
f
LA BULLE DE SAVON. 229
Eh ! roule ma brouette
Qui porte mes radis.
Un fermier pour la belle
Eut aussi (Je Tamour j
Cette fois ce fut elle
Qui ne l'aima qu'un jour :
Il poursuit la coquette.
Qui lui répond : tant pis !
Elî! roule ma brouette
Qui porte mes radis.
Se montrant acce.ssible
Pour un joli garçon ,
Jeannette est insensible
Aux offres d'un baibon ;
Elle dit ma couchette
A peur des cheveux gris !
Eh ! roule ma brouette
Qui porte mes radis.
Méprisant la richesse,
Jeannette dit encor :
Je donne ma tendresse ,
(]e n'est pas pour de l'or :
I^ plaisir qu'on achette
Vaut-il l'amour gratis ?
Eh ! roule ma brouette
Qui porte mes radis.
^50 LA BULLE DE SAVON.
POUR LA FETE D L N LOUIS.
Ain : Au coin du l'eu.
A chanter je m'apprête ;
Il s'agit d'une fête
Qui vaut son prix ;
Or je sens qu'il me tente,
Car je sais que je chante
Pour un Louis (/e/).
L'épouse de notre hôte ,
Bien qu'à compter sans faute
Elle ait appris ,
Donnerait , je parie ,
Lne somme infinie
Pour son Louis.
Louis, en Terre-Sainte ,
Disait : « Allons sans crainte!..
Il fut occis.
Moi , vous pouvez m'en croire ,
Ici , j'aime mieux boire
Pour mon Louis.
Quand on a quelque pièce
D'une mauvaise espèce ,
On est repris ;
Chez nous point d'alliage :
LA BULLE DE SAVON. 25^
Nous avons en partage
Ln bon Louis.
L'un veut une couronne ;
Celui-ci sur le trône ,
A des soucis.
Pour nous fête complette,
ÎNous sommes en goguette
Pour un Louis.
Autreibis trois déesses
Découvrirent leurs... jambes
Au beau Paris.
On dit, moi je l'ignore,
Que Ton en montre encore
Pour un Louis.
LES MACHirSES.
Air. ; Femmes , voulez-vous dprouvcr.
Tout n'est que machine ici-bas,
Disaif un jour un pessimiste;
L'homme qui fait tant d'embarras,
Ne remplit qu'un rôle fort triste;
Malgré lui forcé d'arriver
Au but (jtie le .sort kii destine ,
L homme, je vais vous If prouver,
N'e«t lui-même qu'une machine.
232 LA LllLLE DE SAVON.
On se lèvej il faut se couvrir;
Puis, que ion soit laquais ou comte ,
Il faut songer à se nourrir :
C'est la machine que l'on monte.
Bientôt on va la promener,
Mais , n'importe où l'on s'achemine ,
L'estomac crie, il i'aut dîner,
Ou bien , au diable la machine.
Vous me direz on peut causer j
Près des belles on plaît, on brille,
Parfois même l'on peut baiser
La main d'une femme gentille ;
Oui , si l'on prolongeait cela ,
(le serait charmant, j'imagine!
Mais bientôt on bâille, et voilà
Qu'il fout coucher notre machine.
Foin du pessimiste maudit
Qui met l'homme au niveau de Fàne^
En nous il n'a point vu d'esprit.
Il mérite qu'on le condamne ;
Mais si nous perdions, par hasard.
Ce feu divin qui nous domine,
La beauté, par un seul regard.
Remonterait noire machine.
LA BULLE DE SAVON. 255
LA DEMOISELLE DE QLI^SZE ANS.
AïK : Amis, voici la riante semaine.
Je touche enfin l'époque fortunée
Qui fut long-temps le but de mes désirs !
Je ne suis plus d'enfans environnée ,
Avec quinze ans on a d'autres plaisirs.
Moi , qu'on vovait toujours chanter et rire ,
Je suis déjà tout autre , je le sens. . .
J'ai des vapeurs, je rougis, je soupire ;
Ah! que c'est donc joH d'avoir quinze ans!
Pour raisonner je me sens plus d'audace ,
J'ai le plaisir de m'entendre louer ;
Quand un vieillard auprès de moi se place,
Je n'ose plus le quitter pour jouer.
Si par hasard encor mon a-il convoite
Ceux que je vois courir dans tous les sens ,
Je reste assise , et je me tiens bien droite. . .
Ah ! que c'est donc joli d'avoir quinze ans!
Je ne suis plus traitée en écolière ,
Lorsque je vais le soir dans un salon ,
D'un vieux marquis et d'une douairière
Je lais souvent la partie au boston.
Quand près de nous les enfans qu'on tr>l«Te,
Font les ceiit coups à leurs jeux imiocent»,
â5i LA BULLB DE SAVON.
Moi , je demande une grande niisère !
Ah ! que c'est donc joli d'avoir quinze ans !
Lorsque j'allais jadis dans la campagne ,
Tout me semblait propre à me divertir ,
Cueillir des fleurs, gravir une montagne ,
Me suffisait pour aimer à sortir.
Mais maintenant les bois ont d'autres charmes.
Du rossignol j'écoute les accens ,
Et puis mes yeux se remplissent de larmes.
Ah ! que c'est donc joli d'avoir quinze ans !
D'avoir quinze ans, oui, je suis bien heureuse,
Je ne sais quoi pourtant trouble mon cœur;
Etre souvent inquiète, rêveuse ,
Est-ce bien là ce qu'on nomme bonheur ?
Vagues désirs, dont j'ignore la cause.
Vous tourmentez, vous agitez mes sens :
Ah ! c'est, je crois , encor pour autre chose
Que c'est, dit-on, joli d'avoir quinze ans.
LES CIMETIÈRES.
ROXDE A DANSER.
Air de la ronde des grenadiers.
Mes cliers amis, vivent les cimetières !
ÎSe plaignons pas le sort des moribonds ;
Si les vivans repoussent nos prières.
Dès qu'ils sont morts tous les hommes sont bons.
LA BULLE DE SAVON. 255
Quand dans le monde on rencontre avec peine
Amour constant, véritable amitié,
Au cimetière on trouve par centaine
Ami sincère et fidèle moitié.
Mes chers amis , vivent, etc.
Vous trouvez là des modistes austères ,
Des brocanteurs qui ne surfaisaient pas ,
Des poètes chéris de leurs confrères ,
Et des tailleurs qui donnaient de bons draps.
Mes chers amis , etc.
J'v vois encor des bouchers philanthropes,
Des boulangers, philosophes profonds.
Sur leurs tombeaux, grâce à leurs Pénélopes,
Je trouve aussi l'adresse de leurs fonds.
Mes chers amis, etc-
Pauvres auteurs , victimes de l'envie ,
Qui ne trouvez que censeurs insolens ,
Vous vous plaignez î... demain quittez la vie.
Et l'on rendra justice à vos talens.
Mes chers amis, etc.
De son vivant , Kaimond avec sa femme
Avait toujours des querelles, des cris :
Sur son tombeau , par ordre de madame ,
On met : Au plus adoré des maris.
Mes chers amis, etc.
Chez les époux, chez les fils, chez les gendres,
Que de vertus! En lisaut tout cela,
256 LA liULLE DE SAVON.
Chacun se dit : Pour avoir de leurs cendres
On aurait dii brûler tous ces gens-là !...
Mes chers amis, etc.
Les qualités, les (alens, le génie^
Sont, je le vois , en foule aux sombres bords;
Ah! pour l'honneur de ma belle patrie,
Que ne peut-on ressusciter les morts!
Mes chers amis, etc.
Du cimetière en quittant la demeure,
Où je serais resté très-volontiers ,
Je me disais : Que de gens que l'on pleure ! . . .
Je vis plus loin danser leurs héritiers.
Mes chers amis, vivent les cimetières!
INe plaignons point le sort des moribonds ;
Si les vivans sont sourds à nos prières, ^
Dès qu'ils sont morts tous les hommes sont bons. '^
LE CHAINÏ D'UN PREUX.
Air à faire.
RÉCITATIF.
Que ce séjour plaît à mon âme!
Sur ce vieux chêne j'ai gravé
Des vers en l'honneur de ma dame .
Souvenir de l'amour qu'en ces lieux j'ai rêvé!
).A RIILLE DE SAVON. 257
Mais il m'anime encor... plein de sa douce imap^e,
Traçons ici mes secrets senti mens ;
Qu'un jour au moins sous cet épais feuillage
Elle retrouve mes sermens...
STANCES.
Amour de ma patrie
Fait palpiter mon cœur,
Amour de mon amie
Me donne le bonheur.
(]e ccpur qui les rassemble
N'en veut jamais j^fuérir :
Quand on doit vivre ensemble,
Ensemble il faut mourir.
Si la gloire m'appelle,
Je combats sans effroi j
Quand je revois ma belle ,
Je sens un doux émoi j
Ma dame , ma patrie ,
Veux toujours vous chérir ;
Sans hoimeur. sans aniir. ,
On n'a phis qu'à mourir.
S'il mordait la poussière.
Ne pleurez pas le preux ;
Lnc noble carrière
Fut l'objet de ses vo'ux.
Pour sa fidèle amie
Irouvait doux de soudrir,
Pour sa bclli; paîric
Trouva doux de mourir.
258 LA BULLE DE SAVON.
LE CAPORAL ET LE CONSCRIT.
Air (le la Catacoua.
« Caporal , c'est moi que j'invite,
)) Faites-moi celui d'accepter ;
» Je suis amoureux de c'te p'tite,
» A qui je voudrais en conter ;
» Mais pour lui décliner la chose,
» Faudrait qu'un malin, conmie vous,
» Vînt avec nous ,
» Et m' dise en d'sous ,
» Ce qu'on s' permet
» Auprès de son objet j
» Ça me formerait, que j' suppo.se;
» Caporal,
» Je paie un régal.
» — Allons, Jean-Jean, si ça t' contente,
» J'accepte l'invitation.
» C'est ça ta p'tite.^ elle est tentante,
» Je conçois l'inclination;
» Donnez-moi votre bras , la belle :
» Toi, Jean-Jean, mardi' derrière an pas,
» Surtout \\ va pas,
» En aucun cas,
» Faire un mouv'ment
» Sans mon commandement.
LA BULLE DE SAVON, 259
» Prends ma tournure pour modèle.
» — Caporal,
» C'est r point capital.
» — Il faut entrer dans c'te guinguette,
» ^'ous ralraîcliir me semble urgent;
» Faut êtr' galant près d'un' fillette :
» Garçon, du vin!... Verse, Jean-Jean :
» Vois comme ta belle a l'air tendre j
» Tiens, v'ià comme on prend un baiser;
») Pour t'amuser,
» Faut supposer
» Qu' c'est toi , Jean-Jean ,
» Qui l'embrasse à présent;
» Admire comm' je sais m'y prendre.
» — Caporal ,
» C'est original.
'> — Mais je crois qu' j'entends d' la musique,
» Belle enl'ant, nous allons valser;
» Au bal je suis bon là, j' m'en pique;
» Jean- Jean, tu nous verras passer;
»» Pendant qu'à ta particulière
» Jf vais montrer mon abandon,
>i IVends un leçon ,
» Comme un tonton
•> Tourne tout seul
» Autour de ce tillenl ;
>» Moi , i vais fair' tourner c to p'fit mère.
» — Caporal ,
») !Ne vous fait's pas d m;il. »
240 l^A TîULl-F. DR SAVON.
Jean-Jean ;, avec obéissanee,
Sans s'arrêter tourne toujours,
Apres une assez longue absence
On lui ramène ses amours :
« Tiens , Jean-Jean , pour le badinage
» Y'Ià ton objet bien disposé,
)) J ai tant pressé,
» Tant courtisé,
» Qu'à c't' heur' mon p'iit,
n En avant... Et suffit!
» Pour toi ;, je me suis mis en nage.
» — Caporal,
« Yous êt's sans égal. »
LA BONNE MÈRE.
Air : Tournez , fuseaux légers (de !a Daine Bhniche).
Un soir une jeune mère
Disait, près de deux berceaux :
(( Mes chers enfans , sur la terre
)) Je crains pour vous bien des maux !
» Votre co^ur exempt d'envie
» Aux passions de la vie
)) Un jour, hélas! s'ouvrira...
» Mais tandis qu'il les ignore ,
» Enlans chéris, dormez encore,
» Dormez encore jusque la.
LA BULLE DE SAVON. 2^>|
)) En débutant dans le monde
>
)) Tout y cliarmera vos yeux ,
» Vous ne verrez 5 la ronde
» Que des ^jens officieux ;
» On nous fait, dans la jeunesse ,
») Bon accueil, tendre caresse j
» Jadis cela m'aveugla !
» Mais le charme s'évapore...
» Enfans chéris , dormez encore ,
» Dormez encore jusque-là.
*) Toi , ma fille, quoique sage,
» Tu te laisseras charmer ;
» Toi, mon fils, dans ton jeune âge,
)) Tu trouveras doux d'aimer :
M Temps heureux de l'innocence
» Où l'on croit à la constance !
» Mais on est, malgré cela ,
» Trahi par ce qu'on adore...
)) Enfans chéris , dormez encore ,
» Dormez encore jusque-là.
» Vous verrez que Je mérite
» Sait rarement parvenir,
>» Que l'intrigue va plus vite,
» Que l'or fait tout obtenir ;
» Vous verrez la jalousie*
» Au talent porter envie,
» Et puis <ui rnreu.sera
» In sot qu'un litr<* décore...
â4â I-A ÇULLE DE SAVON.
» Enfans chéris , dormez encore ,
» Dormez encore jusque-là.
» Mais non, j'en ai l'espérance,
» Les hommes deviendront bons ;
» De vertus , de tolérance ,
)) Ils donneront des leçons ;
» On trouvera sur la terre
)) Amitié pure et sincère :
» La justice en chassera
» Tous les maux que fit Pandore, . .
)) Enfans chéris, dormez encore,
» Dormez encore jusque-là. »>
L'AMANTE INCONNUE.
Air : De ma Céline, amant modeste.
Mes chers amis , vous allez rire ,
Vous allez vous moquer de moi;
Je suis amoureux, je soupire.
J'ai de nouveau donné ma foi ;
Cependant de celle que j'aime
Je n'ai jamais suivi les pas,
Et s'il faut vous l'avouer même,
C'est que je ne la connais pas.
Ne croyez pas que je plaisante,
Sa plume a fait naître mes feux,
LA BULLE DE SAVON. 2-43
Dans ses lettres elle est charmante ,
Son style me rend amoureux ;
Au sentiment, à la finesse,
Elle doit joindre mille appas;
C'est pourquoi j'y pense sans cesse
Tout en ne la connaissant pas.
Je me la figure bien faite,
Brune ou blonde , ça m'est égal ,
De fort beaux yeux , pas trop coquette ,
Un nez grec , un front virginal ;
Lue voix douce, un air aiïuable,
Un pied petit, un joli bras...
Je puis bien la faire adorable
Puisque je ne la connais pas.
Pourtant une crainte m'obsède
Et trouble mes rêves d'amours ,
Elle est peut-être vieille et laide ,
Celle à qui je pense toujours ;
Alors, illusion chérie.
Je te perdrais; ah! dans ce cas,
Tâche toujours, ma chère amie,
Que je ne te connaisse pas.
'^i LA BULLE DE SAVON.
GRISONS-NOLS.
RONDE DE TABLE.
Air : Aux soins d'un jour incertain.
Grisons-nous, mes chers amis^
L'ivresse
Vaut la richesse ;
Pour moi, dès que je suis gris ,
Je possède tout. Paris.
Le vin confond tous les rangs
Et rapproche tous les âges ;
Il rend les hommes plus francs
Et les femmes moins sauvages.
Grisons-nous, etc.
Quand on boit dès le matin.
Le soir on est tout de flamme;
Effet merveilleux du vin.
On fait la cour à sa femme.
Grisons-nous, etc.
Le chambertin rend joyeux.
Le nuits rond infatigable.
Le volnais rend amoureux ,
Le Champagne rend aimable!
Grisons-nous, etc.
LA BULLE DE SAVON. âA5
Si l'amour rit d'un barbon ,
Il est une autre victoire;
Tel est vieux près d'un tendron,
Et sera jeune pour boire î
Grisons-nous , etc.
Le plus timide en buvant
Parle de tout à la ronde ,
Au dessert le moins savant
Saura gouverner le monde.
Grisons-nous, etc.
D'un trop fastueux banquet
La gaité fuit l'étiquette!...
Mais elle entre au cabaret ,
Elle couche à la guinguette.
Grisons-nous, etc.
Sur l'avenir incertain
Un roi portera sa vue ,
Sans songer au lendemain ,
L'ivrogne dort dans la rue.
Grisons-nous, etc.
De bouchons faisons un tas ,
Et, s'il faut avoir la goutte,
Au moins rpie ce uo soif pas
Pour n'avoir bu qu'une goutte.
Grisons-nous, etc.
\'Ai laisaut lionneui au vin,
De INoé montrons-nous dignes,
2>46 LA HLLLK DE SAVON.
S'il a planté le raisin ,
C'est pour qu'on soit dans les vignes.
Grisons-nous, mes chers amis,
L'ivresse
Vaut la richesse ,
Pour moi , dès que je suis gris ,
Je possède tout Paris.
VOUS ETES TROP BETE.
Air : A Tàgc heureux de quatorze ans.
Fanian , je vous aimerais bien ,
CiOntre vous je n'ai nul caprice;
Vous êtes gentil, j'en convien,
A votre cœur je rends justice,
Votre sourire est gracieux ,
Vous avez l'air doux et honnête,
Vous avez même de grands yeux.
Mais, Fanian, vous êtes trop bête.
Quand vous venez auprès de moi,
En me regardant d'un air tendre.
Je dis : Il veut m'offrir sa foi,
Voyons comment il va s*y prendre :
Mais vous vous dandinez bientôt;
Et, pendant tout le tête-à-tête,
D'amour vous ne soufflez pas mot..
Ah ! Fanfan, vous êtes trop bête.
î
LA BULLE DE SAVON. 2A7
L'autre dimanche^ aux petits jeux,
On a joue dans le bocage;
Je me dis, pour le rendre heureux;
Je vais l'appeler sous l'ombrage;
Le jeu permettait un baiser,
A le recevoir je m'apprête...
Et vous n'osez pas m'ejubrasser,
Ah ! Fanlan, vous êtes trop bête.
Le soir, je vous dis d'un air doux :
Conduisez-inoi chez la fermière;
Et, pour faire route avec nous,
Vous emmenez le petit Pierre ;
Ah ! ce n'est pas ainsi , vraiment ,
Que vous ferez une conquête!
Je veux bien avoir un amant.
Mais, Fanfan, vous êtes trop bête.
LE CHARME D'AMOUR.
Air de Thcnkis.
Dans une retraite gothiqu»;
I II vinix soi'cier vivait jadis;
II «'tait pour son art magiqur
Très-renommé dans le pays ;
(Ihez lui , de fort loin h la ronde,
La IcMile venait cIinruK' jour;
Il n'osait pas ensorceler le monde,
Mais il vendait chai me d'amoui .
2>48 LA iilLLK Dli SAVON.
Il recevait la noble dame ,
La bergère et le châtelain,
Il procurait tant douce flamme
Au grand seigneur, comme au vilain ;
Mais il fallait, à sa magie,
Que l'acheteur criait sans retour.
L'illusion, en tout temps, dans la vie,
Ajoute au charme de l'amour.
Mais quand venait gente pucelîe.
L'enchanteur point ne lui vendait;
Aux désirs de la pastourelle
Alors le sorcier répondait :
« Que feriez-vous de ma science ?
» Quand on réunit tour à tour
» Douceur, vertu , beauté, simple innocence,
» On possède charme d'amour. »
JE NE SUIS POI^T AIME.
Air ; Plaisirs passés.
Adieu , plaisirs, adieu douce espérance.
Séjours rians dont mon cohu' fut charmé j
Ah ! votre vue auguiente ma souffrance,
Je dois vous fuir, je ne suis point aimé.
Le doux printemps embellit la nature.
L'oiseau redit son chant accoutumé.
Mais d'un œil froid je revois la verdure,
Tout me déplaît !... Je ne suis point aimé.
LA BULLE DE SAVOK. ^49
C'est par TamcHir que la vie est plus chère,
C'est par l'amour que tout est animé.
Ah! si du moins il me restait ma mère ! .
Dirais-je encor : « Je ne suis point aimé ! »>
LK PETIT SAVOYARD.
Ain : Voilà quatre ans quVn ce village ( de Léocadic).
Adieu, mes petits camarades,
Je ne puis partager vos jeux,
Chez nous mes parens sont malades,
Ici, tout mon temps est pour eux.
Pour oublier votre misère,
Vous allez vous amuser tous,
Moi, je travaille pour mon père...
Je suis bien plus lieureux que vous...
Le matin {ijaîment je ramone;
Le soir je montre un sapajou ;
Je mcnafre ce qu'on me donne
Et mets de côté sou sur sou.
Grns ri(lips,qne l'on considère,
Votre or satisfait tous vos ({oùts ,
Mais moi , j'amasse pour mon père ,
Je suis bien plus heureux que vous.
Dans drs dcnieurcs m;i{;uiHqurs
On a besoin du Savoyard ,
250 LA BULLE DE SAVON.
J'y vois de nonibroux domestiques
Me toiser d'un air goguenard ;
Ils se moquent de ma poussière ,
Mais de leurs galons peu jaloux ,
Je me dis : u Je nourris mon père,
» Je .suis bien plus heureux que vous. »
Toi , Joseph , avec ta sellette ,
Tu comptes rester à Paris ;
Pour se marier à ?ianette, •
André s'en retourne au pays.
Dans l'avenir chacun espère ,
Le mien m'annonce un sort bien doux î
Dans un an je verrai mon père ,
Je serai plus heureux que vous.
LE PELNTRE ET S0:N MODÈLE.
Ain : El les (lc\oirs do la clicvalcric.
Arrivez donc, mou aimable modèle,
J'ai mon .sujet, et je vais concourir;
Comme Vénus, vous êtes jeune et belle,
C'est elle ici que vous allez m'offrir.
Aux grands talens je veux qu'on m'assimile,
Par un chef-dVruvre , enfin je veux briller ! .
Surtout, Rosa, vous serez bien tranquille,
Souvenez-vous que je vais travailler.
LA BULLE DE SAVON, 25^
Otez ce châle j ôtez cette coiffure,
Yénus, ma clière, avait moins d'ornemens;
Dans mon sujet elle perd sa ceinture ,
Dépouillez-vous de tous vos vêtemens;
Placez-vous là , sur ce trône fraj^ile ,
Que votre bras vous serve d'oreiller,
Surtout, Rosa, tenez-vous bien tranquille,
Souvenez-vous que je veux travailler.
Vraiment , Rosa , vous êtes ravissante !
Que de beautés, quels gracieux contours!
Le pied mignon, la jambe séduisante :
Vous êtes bien la mère des amours.
Souriez -moi , cela vous est facile.
Tous vos appas je dois les détailler...
Surtout , Rosa , tenez-vous bien tranquille,
Souvenez-vous que je veux travailler.
Mais d'où vient donc que ma main est tremblante,
Que je ne puis diriger mon pinceau?
Mon co'ur palpite et ma tête est brûlante,
Je ne saurais commencer mon tableau ;
Pour aujourd'hui mon génie est stérile;
Kli bien ! Rosa , pourquoi te rhabiller?
Reste donc là... Je serai })ien tranquille.
Figure-toi que je vais travailler.
2io^ LA BULLt Dt SAVON.
RIEN QU'UNE FOIS.
Air : Faut l'oublier.
Rien qu'une lois, c'est peu de chose
En amitié comme en amour,
Pourtant d'un malheur sans retour
Rien qu'une fois peut être cause.
Mais aussi pour fixer son choix ,
Pour rencontrer fidèle amie
Et jurer de suivre ses lois,
II ne faut , souvent dans la vie ,
Rien qu'une fois.
Rien qu'une fois fait un coupable,
Rien qu'une fois fait un heureux;
Une fois peut briser des nœuds
Et rendre un sentiment durable;
Vainement un jeune minois
En amour compte sur ses charmes ,
Le plaisir est court quelquefois !...
Mais on ne verse pas des larmes
Rien qu'une fois.
Rien qu'une fois peut satisfaire
C(ûi\\ qui ne veut que de Tor ;
Qu'une fois il trouve un trésor
Il n'aura plus de vœux à faire.
LA BULLE DE SAVON. ^55
Mais quand l'amour, en tapinois ,
Rend coupable fille jolie ,
On en trouverait peu , je crois ,
Qui, de l'être, n'ait eu l'envie
Rien qu'une fois.
Rien qu'une fois ne peut suffire
Aux désirs qui brûlent mon cœur;
Quand on a connu le bonheur ,
Après le bonheur on soupire.
Quoi! n'entendrai-je plus ta voix,
Toi , que j'aime , toi , que j'adore ,
Je fus plus heureux autrefois...
Permets que je le sois encore
Rifn qu'une fois.
SOI VEMRS D'AUVERGNE.
Air ; Liif roho I«!-;;<'tp (de Marie).
Solitaires campagnes ,
Séjour de la candeur ,
Auvergne, tes montagnes
Convenaient à mon ccrur.
Pour la })ruvante ville ,
Avec regret je pars ;
Adieu , séjour tranfpiiile ,
Adie»! , bons ninntagnards.
âoi LA BULLE DE SAVON.
J'ai VU la Roche-Blanche,
Et dans Saint-Saturnin
J'ai dansé le dimanche
Au son du tambourin ;
Dans de belles prairies
J'ai vu d'heureux vieillards,
Et des filles jolies
Chez les bons montagnards.
Talende , où la nature
Mit de si frais ruisseaux ,
J'ai vu ta source pure
Et tes rians coteaux ;
Où s'élève un village
J'ai vu de vieux remparts !
Du passé seule image,
Qui reste aux montagnards !
L'émule de Virgile
N'était qu'un Auvergnat ,
J'ai salué Delille
Au bourg de Chanonat ;
J'ai, sur le Puy-de-Dôme ,
Affronté les hasards ,
Et dormi sous le chaume
De ses bons montagnards.
Adieu , riche Limagne ,
Rives de l'Allier;
Adieu , belle montagne.
Et toit hospitalier.
LA BULLE DE SAVON. S5)$
Franchissant la distance,
Mon cœur et mes regards
Souvent , en souvenance ,
Verront vos montagnards.
L'AGENDA
Air : Vous vieillirez, 6 ma belle maîtresse.
Sous ces papiers, c'est toi que je retrouve,
Cher agenda, que j'avais à vingt ans;
Ah ! je le sens , au plaisir que j'éprouve ,
Je vois en toi Tami de mon printemps.
Sur tes feuillets examinons bien vite
Ce qu'au jeune âge en riant j'ai tracé;
En ce moment mon cœur encor palpite
Au souvenir de mon l)onheur passé.
Fanny , Jidie , Adèle , Eléonore,
Voilà vos noms ! objets jadis chéris !
En les lisant, \(^ crois vous voir encore,
De vingt beautés alors j'étais épris.
Mais de Rosa j'aperçois l'éciiturc;
C'est un serment... il est presque effacé!...
Là j'ai noté que l'or était parjure !...
Doux souvenir de mon bonhom* passé !
Des rendez-vous, mainte aimable folie,
C'était alors l'emploi de chaque jour;
256 LA BULLE DE SAVON.
De mauvais vers cette feuille est remplie,
Pour Elisa j'y chantais mon amour ;
Cette chanson me valut sa conquête,
Mon pied , bientôt , par le sien fut pressé ;
Je lus aimé , je me crus un poète ! ...
Doux souvenir de mon bonheur passé !
De Rosemonde , ici , je vois l'adresse ,
Que de cadeaux je lui fis recevoir !
J'avais pour elle une vive tendresse ,
Elle payait mon amour en espoir ;
Un soir , pourtant , j'étais reçu peut-être ,
Si mon rival ne m'avait devancé !
Mais je passai la nuit sous sa fenêtre...
Doux souvenir de mon bonheur passé !
Il reste encor plus d'une feuille blanclie ,
De les remplir j'ai la tentation...
]Non ; maintenant, si ma plume était (Tanche
Je détruirais plus d'une illusion !
A ces écarts de ma folle jeunesse
^e mêlons point un regret déplacé,
Et conservons, intact à ma vieillesse.
Le souvenir de mon bonheur passé.
LA BULLE DE SAVON. 257
LE SOLDAT E'S GOGl ETTE.
Air : Trou la la , nu Air : J'ai d' i'rirjjrnt.
J'siiis en fonds (^'•^' )
Chantons , rions et bouffons ;
J' suis en fonds , (bis )
En avant les carafons.
Camarad's, vous saurez donc
Que de ma tant' c'est un don ,
Dix écus, ni moins, ni plus,
Qu'elle m'envoie en quibi/s !
J' suis en fonds , etc.
Sergent , caporal , et vous ,
Tambours , venez avec nous ,
Je voudrais , dans ce moment ,
Répfaler tout 1' régiment.
J' suis en fonds, etc.
J'ai reçu ce hoursicot
Avec un gilet d' tricot;
Pour que 1' régal soit complet ,
^ous mangerons le gilet.
J' suis en fonds , etc.
Si ma tant' ne m' donn' plus rien ,
J'ai mon oncle, il n fin bien!...
i7
^58 l-A BULLE DE SAVON.
Et i'aim' trop les restauians
Pour oublier mes parens.
J' suis en fonds, etc.
Garçon, mettez, sans retard,
Du suc' dans l'om'lette au lard;
Et soignez le bain de pied
Du p'tit verr' de l'amitié.
J' suis en fonds , etc.
On doit se battre demain ,
Jurons, le verre à la main,
Pour mieux vexer l'étranger ,
De tout boir' et d' tout manger.
y suis en fonds, erc.
En guerr' le métier d' soldat
Est vraiment un bel état ;
Vn boulet peut nous r'iancer!
C nest pas la pein' d'amasser.
J' suis en fonds, etc.
Si r canon m' sign' mon renvoi ,
Camarad's , promettez-moi
A ma santé d' boire encor,
Même après que je s' rai mort.
J' suis en fonds , (bi.s.)
(Chantons, rions et bouffons,
J' suis en fonds, (bis.)
En avant les carafons.
LA BULLE DE SAVON.
S99
JE N'EN SAIS PAS DAVANTAGE.
Âir de Paris et le village.
Hier , cueillant du réséda,
J'aperçus Colin sur l'iierbette;
Rose accourut, il l'aborda,
Puis l'emmena sous la coudrette.
Le berger , d'un air satisfait :
Attirait Rose sous l'ombrage;
Ce qu'ils ont dit , ce qu'ils ont fait ! . . .
Ah ! je n'en sais pas davantage.
Lise veut un jeune mari;
Mais sa mère, malgré ses larmes,
Fait d'un vieillard tout rabougri
Le possesseur de tant de charmes.
La pauvrette se chagrinant ,
Après un mois de mariage ,
Dit : « Je suis femme maintenant...
» Mais je n'en sais pas davantage. »
Biaise, au moment d'être l'époux
De la grande et sotte Colette ,
Lui dit : « Çà , ma belle, entre nou'g,
)) Vous aurait-on conté fleurette?
» — Ah ! » dit-elle, en bai.s.sant les veux,
« J' crois me souvenir, qu'au village,
» J'avions trois petits amoureux...
») Mais je n'*n sais pas davantage. »>
260 T. A BULLE DE SAVON.
Le fils de certain grand seigneur
Avait une tête fort dure ,
On lui donna maint précepteur,
On voulut forcer la nature;
Ses maîtres le louaient beaucoup,
Et , quand ce fut un personnage ,
Le jeune homme parlait de tout ,
Mais n'en savait pas davantage.
On nous vante des bienheureux
Les jouissances éternelles ;
On nous promet d'aller près d'eux ,
Si nous sommes sages, fidelles ;
Mais, ici-bas, nous ignorons
Quel est, là-haut, notre partage ;
Et, tant que nous en parlerons,
Nous n'en saurons pas davantage.
LA PARTIE DE DOMINO.
Air : En revenant de Bàle en Suisse.
Ma chère Suzon, voici l'heure
Où nous pouvons nous mettre au jeu ;
Seul avec toi , dans ma demeure ,
J'aime à jouer au coin du feu.
Ce soir, je m'en vante ,
Je vais à gogOj
Avec ma servante,
Faire domino.
LA BULLE DE SAVON. 26i
Allons, Suzon, qu'on se dépêche ,
Place la lampe près de nous;
Mais surtour ménage la mèche,
Un demi-jour est bien plus doux.
Ce soir , etc.
Suzon , avec tes doigts de rose,
Il faut remuer tout cela.
— Monsieur, je vous offre la pose.
— Cela m'embarrasse déjà.
Ce soir , etc.
— Monsieur , c'est du blanc que j'avance ;
Bouder ne serait pas le cas.
— Oui , mais quand je m'ouvre une chance,
Suzon, ne me la ferme pas.
Ce soir, etc.
Vraiment , Suzon , (|uoi que je fasse ,
.Jamais mon pauvre as ne finit.
— Monsieur, je ne crois pas qu'il passe,
Vous avez un dez trop petit.
Ce soir, etc.
Allons, j attaque. — El moi , je ferme.
— Ce double blanc me plait beaucoup.
— Surtout, monsieur, tenez-vous ferme.
Car je vous prépare un grand coup.
Ce •oir , etc.
Du êit , nionaif ur. — Je les obhorre |
U n'ai jamBii de cei gros'-làl
26â LA BLLLE DL SAVON.
— Du cinq, au moins. — Je boude encore.
— Vous ne faites plus que cela!
Ce soir , etc.
Quoi ! vous n'avez ni cinq , ni quatre ,
Allons, monsieur, cherchez un peu.
— -Suzon , je suis forcé d'abattre...
— Ah! que vous avez vilain jeu!
Ce soir, etc.
— Suzon , je quitte la partie;
Demain je serai plus en train.
— Ça s'ra de même , je parie ,
Vous remettez tout à demain !...
Demain, je m'en vante.
Je veux , subito ,
Avec ma servante
Faire domino.
A-T-IL MAL FAIT?
fi
Air : Pourquoi pleurer ( du Concert à la Cour) .
A-t-il mal fait? (bis.)
Ah ! daignez m'i'clairer, mon père,
Colin m'a dit qu'il m'adorait,
Que toujours je lui serais chère.
A-t-il mal fait? (bis,)
LA BULLE 1>K SAVON.
A-t-il mal l^it ?
Il dit que je suis la plus belle ,
Que ma tournure a de l'attrait.
Qu'il est doux de m'étre fidelle.
A-t-il mal fait?
A-t-il mal tait ?
Colin , en me disant je t'aime ,
Avec ardeur me regardait ,
Puis me pressait contre lui-même.
A-t-il mal fait?
A-t-il mal fait?
Il m'a dit : Tu seras ma femme ,
Notre bonheur sera parfait!
D'avance couronne ma flamme...
A-t-il mal fait?
A MADAME
* ♦ ♦
AiB ; Simple et naïve berjjerettc j du (^hapemn).
l'ourquoi pleurer, 6 mon amie,
Quand vou.s avez fait mon bonheur;
O qui vient d'embellir ma vie
P«'uf-il cau.sfîr votre douleur?
Pour un péché bien ex<usable
(l»".s.s«'7. de bai.s.ser vos beaux veux...
Ou ne saurait éiic <oup;ii)le
Quaud on vient de. lain* un Ip-uh-uï
26>4 LA BULLE Dt bAVON.
Verser des larmes est folie,
D'aimer peut-on se garantir :
Pour une laute si jolie
Dieu n'a pas foit le repentir 5
Votre faiblesse, je le jure,
Ne pourra qu'augmenter mes feux;
Car il n'est pas dans la nature
De vouloir cesser d'être heureux.
On créa la femme pour plaire;
Son cœur ne bat que pour aimer;
L'air à sa vie est nécessaire
Moins que le besoin de charmer ;
Mais afin que son cœur abrège
Les maux que font naître ses yeux ,
Elle a le plus doux privilège,
(iclui de faire des heureux.
L'ARABE ET SON COURSIER.
Air (J'A;',iies Sorcl.
Sous le ciel brûlant d'Arabie,
Loin du rivage de la mer,
Enlevant maîtresse chérie ,
Olcar fuyait dans le désert.
Son coureier, à sa voix fidèle ,
Pressé par lui, double le pasi
Pour son nialtre) ardent^ plein de cèle^
>'lngt Ifoin il bmva le trépas.
LA BULLt DE SAVON. 26^
Mais sans eau , dans la plaine aride
Bientôt il leur faudra mourir.
Et la jeune amante à son guide
Se plaint déjà de trop souffrir.
Olcar, pour adoucir sa peine.
La laisse auprès de son coursier,
Va vole éperdu dans la plaine
Chercher quelque arbre nourricier.
Tandis qu'en la plaine brûlante
L'Arabe court tout affronter,
Une caravane brillante
Passe aux lieux qu'il vif^nt de quitter.
La belle, sans trop se défendre,
Suit les pas d'un Mahoniétan ;
Le coursier reste et veut attendre
Le pauvre Olcar qu'il aime tant.
Olcar, pour trouv«'r une source,
En vains efforts se consumait ;
\Iais las ! au retour de sa course .
iNe voit plus celle (ju'il aimait ;
!>♦' coursier seul attend son maître,
Et , faisant un dernier effort .
Hennit dès (|u'il U' voit paraître .
ÎNiis à ses côtés tombe mort.
^QÇ LA BULLE DE SAVON,
LES EiVFANS EGARES.
Air de l'Ermite (fe Sainl-Avelle.
Dans une sombre solitude,
Deux enlans, de cinq à .six ans .
Portaient avec inquiétude
Leurs regards doux et caressans.
Ils pressaient leur course légère.
Au bruit du tonnerre en courroux,
En disant : « C.herclions notre père,
» Le (]iel aura pitié de nous.
» (^est dans cette iorét proionde,
» Que nous avons perdu .ses pas,
» Ah! du moins s'il passait du monde,
» On nous tirerait d'embarras.
» — Mais dans cette forêt, mon Irère,
)' Si nous allions trouver des loups!...
» — iNous avons perdu notre père,
» Le Ciel aura pitié de nou.s.
» La nuit vient, je n'entends personne.
» Que diront nos parens ce soir?
» Connu en t notre mère , si bonne ,
» Dormira-t-elle sans nous voir?
» — Marchons toujours; ce soir, j'espère
») Me retrouver sur leurs genoux.
LA BULLE DE SAVON. aSDi
M Nous avons perdu notre père,
» Le Ciel aura pitié de nous. »
» — Je suis las, mon frère; il ine semblé
» Qu'il faut nous reposer aussi.
» — As-tu faim? — Oh non, mais je tremble!
» Il faudra donc dormir ici?...
» — ^ie pleure pas si fort, mon frère,
« Le bon Dieu , là-haut, nous voit tous!
» JNous avons perdu notre père ,
» Il doit avoir pitié de nous. »
En .«îanglotant , sous le feuillage
Les deux enfans se sont assis ;
Et , malgré le bruit de l'orage ,
Ils se sont pourtant endormis ;
Mais , en dormant , cette prière
Se mêle à leur souffle si doux :
« Nous avons perdu notre père ,
» Bon Dieu , prenez pitié de nous ! »
POUR ELLE OU POLR LUI.
PASTORALE.
Air : Mon père n'est plu« le concierge.
Transports jaloux, douleur amère,
Dépit* secrets,
2bii LA BULLF, DE 6AV0N.
Venez augmenter ma colère
Et mes regrets !
L'objet pour qui mon ca3ur soupire
La nuit, le jour,
Me vit hier, sans rien me dire
De son amour.
Auprès de quelqu'un , dans la plaine.
Je l'aperçus :
Ses yeux aux miens, malgré ma peine ,
ÎNe parlaient plus ;
Vers moi , pour calmer mes alarmes ,
Loin d'accourir,
On a laissé couler mes larmes
Sans les tarir.
Je (e détesle , et pour la vie ,
Objet trompeur!
Porte à d'autres ta perfidie ,
Reprends ton cœur !
(]e cœur qu'un autre amour engage,
N'est plus mon bien ! . . .
Mais , moi , je ne suis [)as volage ,
Garde le mien.
LA BULLE DE SAVON. 269
MA PHILOSOPHIE.
Air : Vive l'enfer.
Je veux toujours suivre ta loi ,
Philosophie
Chérie ,
Sénèque etSocrate, ma foi,
Pour modèle auraient pris, je crois,
Moi.
Je l'avoûrai , mes désirs
Sont portés aux plaisirs ,
Et le travail m'ennuie ;
Mais quand sans peine je peux
Contenter tous mes vœux ,
Moi, j'aime assez la vie.
Je veux toujours , etc.
J'en conviens, j'aime le jeu ,
La nuit , j'en fais l'aveu ,
Je joùrais sans relâche ;
Mais quand la chance me rit ,
Quand le sort me sourit.
Jamais je ne me fâche.
Je veux toujours, etc.
Dans le monde, bien des gens
Ne sont point indulf^ens,
270 LA BULLE DE SAVON.
Un rien les mécontente ;
Mais moi, quand on applaudit
A tout ce que j'ai dit ,
Je suis d'humeur charmante.
Je veux toujours, etc.
Un déjeuner de garçon
M'est offert sans façon ,
Je dis : « Point de folie!
» Un pâté de Périgueux ,
» Un poulet , du vin vieux ,
» Rien de plus, je vous prie. »
Je veux toujours , etc.
Je vois, à plus d'un couvert,
Des gens fuir au dessert ,
Cela n'est pas aimable !
Quand on me place au milieu ,
Quand j'ai le dos au feu,
Volontiers je tiens table.
Je veux toujours , etc.
Des yeux bleus grand amateur,
Par les blondes mon cœur
Se laissa toujours prendre;
Mais qu'une belle à l'oùl noir
Me dise : « Viens ce soir, »
Je ne fais pas attendre.
Je veux toujours, etc.
Mais par l'ingrate beauté
Sui.s-je un matin quitté.
LA BULLE DE SAVON.
Je m'en console vite ;
Point de regrets superflus ,
Dès que je n'aime plus,
J'aime autant qu'on me quitte.
Je veux toujours, etc.
L'un en vira .son voisin ;,
L'autre est toujours chagrin,
Inquiet, alarmiste;
Quand il ne me manque rien ,
Quand je me porte bien ,
Je ne suis jamais triste.
Je veux toujours, etc.
Celui-ci se plaint du temps ,
Du froid et des autans;
Cet autre encor murmure;
Moi , jamais riert ne m'émeut ;
Que m'importe s'il pleut,
Quand je sui.** en voiture?
Je veux toujours, etc.
Je penls un oncle cln-ri ,
D'aboid je sui.s marri
De cette catastrophe ;
Il me laisse ses écus.
Je dis : •' INe pleurons plus,
»i Et .soyons pliilo.sophc. »
Je veux toujour.'* , «Me.
Je veux, vieilli.ssant ain.si ,
Conserver, Dieu merci,
m
272 tiA BULLF. DE SAVON.
Cette philosophie.
Que J'aille cent ans encor,
Sans accuser le sort,
Je quitterai la vie.
Oui , toujours je suivrai ta loi ,
Philosophie
Chérie ,
Sénèque et Socrate , ma foi ,
Pour modèle auraient pris, je croi,
Moi.
LE CHIJNOIS.
Air : T'^audeville de la Somnambule.
Un beau matin, quittant la Chine ,
Certain liabitant de Pékin ,
Devers la France s'achemine
En costume de mandarin;
Fort grotesque était sa tournure ,
Son abord était peu courtois.
Et chacun, vovant sa figure,
Disait : Ah! le vilain Chinois !
Pour connaître la grande ville ,
Le Chinois se rend à Paris;
Il va partout d'un pas tranquille,
Et de rien ne pnraît surpris j
i
LA BULLE DE SAVON. 275
S'occupant fort peu si sa mise
Le fait, chez nous montrer aux doi|[ts ,
Il fronde tout avec franchise ;
Ah ! mon Dieu , le vilain Chinois !
Fuyant le luxe , l'étiquette
Et les salons de l'écarté,
Dans le réduit d'une grisette
Il prétend trouver la gaîté ;
Il s'étonne que le mérite
Soit sans fortune ;, sans emplois;
Les sots qu'on flatte, il les évite :
Ah ! mon Dieu , le vilain Chinois !
Lui feit-on quelque politesse ,
Il croit qu'on est de ses amis;
En affaire il veut que sans cesse
On tienne ce qu'on a promis ;
Il ose dire qu'une belle ,
A l'époux dont elle a fait choix,
Doit pour la vie être fidelle;
Ah! mon Dieu , le vilain Chinois!
Prétendant ne voir à la ronde
Que des gens faux et envieux ,
Il parcourt de nouveau le monde ,
Et nulle part n'est plus heureux ;
Il veut que l'on soit iranc et sage.
Savant et modeste à la fois ;
Et chacun dit sur son passage :
Ah! mon Dieu, le vilain Chinois!
il
S7/i LA BULLE DE SAVON.
LA RENCONTRE.
Air du Petit Courrier.
C'est toi, Laure, que je revois!
Combien la rencontre m'enchante;
Voilà bientôt dix mois, méchante,
Que nous avons rompu, je crois ;
Vraiment je te trouve embellie.
Et mieux (p'aux temps de nos amours;
Non, tu n'étais pas si jolie
Quand je te voyais tous les jours. ('<?'"•)
Tu cours à quelque rendez-vous :
Ah ! tu dois tourner bien des têtes !
Allons , conte-moi tes conquêtes ,
Et montre-moi tes billets doux ;
De mes amours je veux t'instruira,
Désormais soyons sans détours. . .
J'en avais moins long à te dire
Quand je te voyais tous les jours.
Entrons chez ce restaurateur,
Tu ne peux refuser, j'espère;
Ce dîner impromptu , ma chère ,
Aujourd'hui me semble meilleur ;
Pour que ton amant te pardonne ,
Tu trouveras quelques discours !
LA BULLE DE SAVON. 27b
Tu me trompais aussi , friponne ,
Quand je te voyais tous les jours.
C'est bien ta bouche que voilà ,
Et ton sourire plein de graceî
Mais, Laure, il faut que je t'embrasse ,
Pour mieux me rappeler cela.
Dans mes bras il faut que je presse
Cette taille, ces doux contours...
Ah ! j'éprouvais bien moins d'ivresse
Quand je te voyais tous les jours.
Quoi huit heures sonnent déjà ! ...
Comme le temps a passé vite!
Pourtant il faut que je te quitte,
Le hasard nous réunira.
Sans nous gêner, ma chère Laure,
De nos plaisirs suivons le cours :
Surtout, pour nous aimer encore ,
INe nous voyons plus tous les jours.
FIN DES POEMtS. J^
pZUii ... ^ {fix. -
TABLE DES MATIERES.
CONTES.
DéoiCACE. 4
Les Gondoliers. 3
Le Raisonnement de gros Pierre. \2
Le Rhume. iS
Le Paysan ambitieux. 24
Le vieux Fou. 29
Le Mari qui joue de la flûte. 32
La Préférence. 37
Les deux Amis. 40
Les deux Frères. 45
L'Ardoise. 49
L'Aveugle et sou Fils. 53
L'Écarté. 6i
La Jupe enchantée. 70
La Nature. 82
Le Rat. 87
Edmond. 92
Le TÏeuv Chénc. 96
Le Mari sentinelle. 100
La Femme auteur. ^06
La petite Brodeuse. iM
Le Livre du Destin. 123
CHANSONS.
I>a Bulle de Savon. 135
Je n'en suis plus à mou premier «imour. 137
La Gloire et la Fortune. 138
Encore un moment. 140
278
TABLE.
La Fossette.
Sur la Mort du peintre David.
La Promenade à ânes.
Les deux Voyageurs.
Depuis que je ne te vois plus.
L'Homme sans souci.
Le Droit du Châtelain de Bétfiîsy.
Un Baiser de mon Fils.
Le Chevalier errant.
Elle était si jolie.
Profession de Foi.
Les Désirs d'un Amant.
Cadet Buteux au jardin Turc. (Pot-Pourri.)
Ma Lisette, quittons-nous.
Plus on est d'Amis, plus on boit.
Eloge des cheveux roux.
La Peureuse.
Le Retour.
La Bienfaisance.
La Marguerite.
L'Amour et le Diable.
Le Chansonnier français.
La Vieille de seize ans.
Les Esprits.
Le jeune Soldat.
Laissi'Z-vous faire.
Le Berger et la Bergère.
Il n'est plus là.
Le Sage comme il v eu n tant.
Les Souvenirs.
Les .leux innoceus.
Il ne faut pas rêver toujours.
Les Synonymes.
Le manque de Mémoire.
Dame Isabelle.
La Réunion d'été.
Rendez-moi mon argent.
II faut aimer.
La Plume.
A mon ancienne Amie,
Ui
443
144
147
148
150
151
153
155
156
157
160
162
170
171
173
174
176
i77
179
180
181
183
184
187
189
191
193
194
19.)
196
198
199
200
202
■205
207
209
210
212
TABLE. 279
Vous fâcheriez-\ous? 214
La Vie d'un Particulier. (Chanson qui dure soixante ans.) 216
L'Habitude. ' 217
Je ne suis pas encore guéri. 219
La Chaumière, - 220
Le Nez. 221
La Couturière. 223
Les vieux Péchés. 225
Le Désir et l'Espérance. 227
La Brouette de Jeannette. 228
Pour la Fête d'un Louis. 230
Les Machines. 231
La Demoiselle de quinze ans. 233
Les Cimetières. (Ronde à danser.) 234
Le Chant d'un Preux. 236
Le Caporal et le Conscrit. 238
La Bonne Mère. 240
L'Amante inconnue. 242
Grisons-nous. (Ronde.) 244
Vous êtes trop béte. 246
Le Charme d'amour. 247
Je ne suis point aimé. - 248
Le petit Savoyard. 249
Le Peintre et son Modèle. 250
Rien qu'une fois. ^ 252
Souvenir d'Auvergne. 253
L'Agenda. 255
J^e Soldat en goguette. 257
.Te n'en sais pas davantage. 259
La partie de Domino. 260
A-t-il mal fait ' 262
A Madame ***. 263
L'Arabe et son Coursier. 264
l-es Enfans égarés. 266
Pour Elle ou pour Lui. 267
Ma Philosophie. 269
Le Chinois. 272
La Rencontre. 274
j
^
.»« f . ' .ii
i.^jtf.^
'l'Hélas.